NUIT BLANCHE EN ROUMANIE (Chroniques de voyage) 8 Nov. 2017

Retour à Cluj Napoca

8 novembre 2017
 
 
2h06 du matin. Hôtel Transylvania. Un an après, presque jour pour jour. La Roumanie, au bord des Carpathes, après deux vols de nuits, deux portes d’embarquements, mille mots prononcés, une série sans fin de regards échangés, de visages croisés, de types très première classe, de voyageurs seconde classe, de gens déclassés ou sans classe, un an après, presque jour pour jour, presque au bord d’un sommeil qui ne viendra jamais, j’attends que cette terre m’avale, comme la première fois, dans ses entrailles, dans ses paysages irréels, entre béton et steppe, entre chien et loup. Là, au bord du lit de cette chambre rustique au charme désuet, j’attends la morsure du froid et de cet autre dissimulé dans l’ombre, celui qu’on entend et ne voit jamais, l’invisible qui se dévoile quand il est déjà trop tard. Hôtel Transylvania. 2h15 du matin. Un an après presque jour pour jour, presque nuit pour nuit blanche.
 

Entrailles de la terre de Roumanie

8 novembre 2017
 
18h09 du soir. La nuit est déjà tombée sur la ville encore effervescente. Cluj Napoca s’éveille à la soirée qui s’annonce fraîche. Hôtel Transylvania. La chambre a toujours son aspect rustique désuet. Une odeur de parfum ménager est venue s’immiscer pendant mon absence. Mes doigts courent sur le clavier en jouant un pizzicato contre le bois d’un secrétaire démodé des années 50. Devant mes yeux encore cette route que nous avons déroulée jusqu’à Tusda dans les chaos irrévérencieux des coups de volant d’un chauffeur brutal. Devant mes yeux, éternité de cette galerie qui nous a avalé jusqu’au plus profond des mines de sels. Entrailles de la terre qui pleurent des traînées de sang blanc sur son ventre lisse aux parois presque organiques. Viscères suspendues de la terre mère qui engloutit tout, même les cris des enfants qui chahutent, même les conversations des vieillards qui rient dans leur langue étrangère, même nos respirations qui s’étonnent ou s’effraient. Là, au fond des abysses de la terre Roumaine, des sculptures lumineuses improbables ont forgé l’air plus précieux que les trésors des grands seigneurs des Carpathes. Et lorsqu’enfin, nos âmes se sont élevées dans l’ascenseur qui n’en finissait plus de monter, une autre gorge rocailleuse, une autre terre, une autre panse déchirée à l’extérieur, presque un cri de la roche pour nous rappeler combien le vertige est inconstant.
 

Carpathes et croix de fer

9 novembre 2017
 
22h15. La nuit nous accompagne au rythme de nos pas qui filent sur les pavés froids. Les pubs et les restaurants se remplissent encore du murmure des citoyens de Cluj-Napoca. Lumières diffuses, chaleureuses, éparpillées en dentelles scintillantes entre les monuments et les ruelles. Et dans nos regards, le chant des corbeaux qui ont accompagné notre errance jusqu’aux premières hauteurs des Carpathes, les grognements d’une meute de chiens qui se disputent un territoire vaste et boisé à coups de crocs. Pas un frémissement sur les bords du lac de Colibita. La nappe aquatique que rien ne trouble s’étire entre les sapins et disparaît sans dévoiler la fin du paysage. Je pense encore à ces charrettes de foins croisées, tirées par des chevaux rompus à un labeur permanent, conduites par des hommes au regard d’acier, au sourire sans façon. Au-dessus de la vallée nichée dans le creuset de montagnes enneigées, le monastère Piatra Fantanele et son immense croix de fer qui domine, ses chapelles orthodoxes aux puits de couleurs tournés vers les cieux et ses sœurs, tout de noir vêtues qui s’affairent à la récolte du bois pour l’hiver en souriant à tous les saints. En bas, l’hôtel Dracula et le buste de Bram Stoker qui trône là comme un étrange paradoxe, comme une anomalie géographique, entre des réverbères tentaculaires et des tombes fleuries sur l’herbe brûlée par la morsure du froid. Et ce silence. Ce silence qui vous happe et aspire le moindre mot qui vous viendrait au bord des lèvres.
 

Au revoir Romania

10 novembre 2017
 
8H30. Romania. Il faut déjà refermer la fenêtre de cette petite chambre de l’hôtel Transylvania. Dehors, la grisaille du ciel a rattrapé la couleur des murs de Cluj Napoca. Je songe, à peine éveillé, à ces kilomètres de routes où défilaient tes paysages que l’histoire a façonnés entre les ruines industrielles et les monuments du passé. Je vois encore tes maisons aux toits de fer, tes blocs de bétons, tes palissades en vieux bois, ta steppe improbable et infinie où saignent parfois d’étranges rivières posées là. Romania. Tu bouscules nos préjugés et tes femmes, et tes hommes n’ont pas leurs sourires dans la poche. Là-bas, dans la prairie, un berger ne quittera jamais son troupeau. Ailleurs encore, tes loups garderont les forêts. Romania. Dans tes nuits blanches aux bruits incessants des passants qui l’arpentent, aux éclats de voix des jeunes gens qui la bravent avec l’insouciance et la liberté comme étendard, tu laisses gravé dans le cœur de ceux qui osent te regarder en face, comme une belle mélancolie, comme une apaisante tristesse, comme une joyeuse larme d’enfant

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