LA CORBEILLE 20 Juin 2010

Crédit photo : Olivier Iglesias / oligle.com

Théâtre Scaramuccia - janvier 2016

LA CORBEILLE

Comédie dramatique en 3 actes

de Gianmarco Toto

 

Les personnages :

La bergère

Le ramoneur

La brindille

Le clown

Le colonel

Le bleu

Le décor : Un lieu sombre et sans issue.

 

 

ACTE I

 

Scène 1

(II fait sombre. Un ramoneur apparaît)

 

LE RAMONEUR

Holà ! Quelqu'un ? Bonjour, messieurs dames, c'est le ramoneur ! Hep ! Il y a quelqu'un ? (A lui même) Ce n'est pas possible. Je me suis trompé d'adresse. (Il  fouille dans ses poches) Qu’est-ce que j’ai fait de mon carnet de rendez-vous ? Si on y voyait quelque chose, ici... (Appelant de nouveau) Ho, hé ! Il n'y a pas de lumière chez vous ?

(Une bergère apparaît)

 

LA BERGERE

(Inquiète) Moutons ? Où sont mes bêtes ? Où sont mes moutons ? Perdu... J'ai perdu mon troupeau...

 

LE RAMONEUR

(L’apercevant rassuré) Ah, tout de même ! J'ai pensé au pire vous savez...

 

LA BERGERE

Mon troupeau...

 

LE RAMONEUR

Pardon ?

 

LA BERGERE

Je n'ai plus de troupeau. Je suis bergère et je n'ai plus de troupeau.

 

LE RAMONEUR

(Déconcerté) Oui, je comprends... La cheminée? C'est par où?

 

LA BERGERE

Cheminée ? Vous me parlez de cheminée pendant que moi... (Soucieuse.)Ils doivent bien être par ici...

 

LE RAMONEUR

(Confus) Qui ?

 

LA BERGERE

Mes moutons... Sûrement qu'ils ne sont pas loin...

 

LE RAMONEUR

(Pensant avoir à faire à une folle) Sûrement... Je vous comprends mais... La cheminée ?Oui, vous comprenez,... j'ai des clients qui attendent et...

 

LA BERGERE

Quelle cheminée ?

 

LE RAMONEUR

Justement. Je la cherche. Vous êtes la propriétaire ?

 

LA BERGERE

Je pense bien. Ce sont mes moutons...

 

LE RAMONEUR

(Impatient) Oui. J'ai bien compris... (Se calmant) Ecoutez. On m'a dit de passer pour nettoyer un conduit de cheminée...

 

LA BERGERE

Qui ? Qui vous a dit ?

 

LE RAMONEUR

Et bien... (Hésitant)

 

LA BERGERE

Qui ?

 

LE RAMONEUR

Je ne sais plus. Je ne trouve plus mon carnet de rendez-vous...

 

LA BERGERE

Rendez-vous ? Vous aviez un rendez-vous ? Quel est votre nom ?

 

LE RAMONEUR

(courtois) Madame, je me présente...(Il hésite comme s'il cherchait quelque chose)

 

LA BERGERE

Et bien ? J'attends.

 

LE RAMONEUR

(Confus)Et bien. C'est à dire que...

 

LA BERGERE

Vous ne savez pas. Vous avez oublié.

 

LE RAMONEUR

(Troublé) C'est un peu vrai. Et bien, et bien ! Qu'est-ce qu'il m'arrive ?

 

LA BERGERE

Ne cherchez pas. Ça ne sert à rien.

 

LE RAMONEUR

Pardon ?

 

LA BERGERE

Je ne me souviens pas moi aussi. Alors, ne cherchez pas...

 

LE RAMONEUR

Qu'est-ce que vous me racontez là ?

 

LA BERGERE

Nous ne savons pas où nous sommes, ce que nous faisons là et qui nous sommes.

 

LE RAMONEUR

Ah ! Mille pardons ! Je suis venu faire mon travail et...

 

LA BERGERE

Vous trouvez que cet endroit ressemble à une maison ? Une maison avec un toit et une cheminée posée dessus ?

 

LE RAMONEUR

(Agacé) Non. Justement. Je ne trouve rien.

 

LA BERGERE

Regardez autour de vous. Ecoutez...

 

LE RAMONEUR

Oui, j'entends. Je vois. Et alors ?

 

LA BERGERE

 Alors ?

 

LE RAMONEUR

Alors rien.

 

LA BERGERE

Pardonnez-moi mais je dois trouver mes bêtes...

 

LE RAMONEUR

(Un peu perdu) Oui. Oui... Je comprends... et moi, la cheminée...

 

LA BERGERE

Si nous nous retrouvons...

 

LE RAMONEUR

Oui...

(Ils se séparent. Une  fille apparaît qui les suit du regard.)

 

LA BRINDILLE

Ils ne savent pas. Ils ne savent rien. Ils se perdent et pourtant c'est simple. Si simple. Et « la brindille » attend, tout le temps, dans l'air du temps, sa chanson. Ils vont tous se réveiller mais ils ne verront toujours rien... L'évidence. Si peu de temps... (Triste) Ma chanson... Là-haut... S'il vous plaît, ma chanson, encore une fois. Après, je ne dirai rien, je ne ferai rien, je ne bougerai pas... Une petite fille sage. C'est promis.

 

(Un air de musique se fait entendre au loin)

(La brindille sort)

 

Scène 2

(Deux soldats, armes aux poings, entrent.)

 

LE BLEU

Chef ! Chef ! Qu'est-ce qu'on fait chef?

 

LE COLONEL

(Un signal de la main) Tenir. Tenir sa respiration. L'œil aux aguets comme à la bataille, petit. Comme à la bataille...

 

LE BLEU

A vos ordres, chef. Je suis là, chef. Je ne bouge pas, chef.

 

LE COLONEL

(Agacé) Soldat ! Le silence, c'est la botte secrète du guerrier. Doucement les basses...

 

LE BLEU

Mais chef, ils sont où, chef?

 

LE COLONEL

Qui « ils » '?

 

LE BLEU

L'ennemi. On ne voit rien. Il fait trop noir.

 

LE COLONEL

Ils sont là. Tout près. Je le sens. Comme à la bataille... Comme à la bataille...

 

LE BLEU

(Découragé, quittant sa position) Mais chef, il n'y a personne ici. Cela fait je ne sais pas combien de temps que nous marchons...Il n'y a pas d'ennemi...

 

LE COLONEL

Soldat ! Reprends-toi ! Que fais-tu ? Tu es à découvert ! !

 

LE BLEU

II n'y a pas d'ennemi. Ça fait longtemps qu'on aurait du entendre des coups de feu. Il n'y a rien...

 

LE COLONEL

Soldat. A ton poste. C'est un ordre.

(Pétarade. Le colonel se tord de douleur et s'effondre au sol)

 

LE COLONEL

Ah ! Les chiens ! Je suis fait !

 

LE BLEU

Chef?! Vous avez mal ?

 

LE COLONEL

(Agonisant) Ce n'est rien, petit... Comme à la bataille... ce n'est rien... c'est la fin... Sur le champ d'honneur... Dis, petit...Dans la poche de ma chemise... regarde... il y a une photo de ma femme et de mes enfants... si tu t'en sors, tu iras les trouver et tu leur diras queje les aime...

 

LE BLEU

(Après avoir fouillé le veston du colonel, un peu surpris) II n'y a pas de photo, chef !

 

LE COLONEL

(Déçumais toujours agonisant) Ah, bon? Ce n'est pas grave. Tu iras les trouver quand même et tu leur diras que... Je perstout mon sang, bon dieu !...Je pars... Je sens que c'est la fin...

 

LE BLEU

(Deplus en plus surpris) Chef?

 

LE COLONEL

C'est la fin. Tu diras à ma femme...

 

LE BLEU

(Les yeux écarquillés)Chef, il n'y a pas de sang...

 

LE COLONEL

(Se redressant revigoré) Que dis-tu, soldat ? Un colonel sait quand il sent la fin...

 

LE BLEU

(Rassuré et content) Chef, vous êtes vivant, chef. Vous n'avez rien...

 

(Brusquement, apparaît un clown bondissant et riant)

 

LE CLOWN

Hi, hi, hi ! Ils sont rouges ! Tout rouge ! Hi, hi, hi ! Quelle pétarade !

 

LE COLONEL

 (Terrible) A ton poste, soldat ! A mon commandement ! Chargez ! Sus à l'ennemi !

 

(Les deux soldats menacent le clown de leurs fusils)

 

LE CLOWN

Hou ! Là ! Là ! C'est grave ! Je vous en prie, messieurs les soldats, ne me tuez pas... J'avoue tout... J'avoue... Je ne suis pas un ennemi... Je suis un abominable farceur... D'ailleurs ma maman me le disait souvent quand elle me poudrait mes « fefesses »,...Ma maman ?... Mais que dis-je ? Quelle tête de pois chiche, je n'ai jamais eu de maman...

 

LE COLONEL

(Hurlant)La ferme ! Tu es peut être un espion !

 

LE CLOWN

Un espion ? Je n'y avais pas pensé. Mais, je vous en prie, ne me tuez pas. Laissez-moi le faire à votre place. J'ai l'habitude dusale boulot !

(Le clown sort de la poche un pétard qu’il allume et qui explose avec fracas)

 

LECLOWN

Ah ! Je suis touché. Je suis blessé. Je suis mort peut être déjà ! Je vois des anges. Ils sont beaux. Hou, là, là ! Ils sont tout nus. C'est parce qu'ils sont nus qu'ils sont beaux. Sinon, ils ne seraient pas des anges... Il y en a un qui me tend la main. Un  autre me déshabille. Oh ! Je suis tout nu. Le suivant accroche des ailes à mon dos et le dernier me sourit jusqu'à l'infini. (Il tombe immobile, jambes et bras en croix)

 

(Les soldats se rapprochent du corps et soudain le clown bondit)

 

LE CLOWN

Fin du numéro. Applaudissements, je vous prie. Ovations. Hourra ? Bis ? Une autre ?

 

LE COLONEL

(Autoritaire) Qui es-tu ? Ton matricule...

 

LE CLOWN

Mon matricule ? Il est minuscule. Il est là... (La main sur le cœur) ... entre mes ventricules.

 

LE BLEU

Tu n'es pas un ennemi ?

 

LE CLOWN

(Feignant d'être terrible) Si. Je suis l'ennemi de la mauvaise humeur et de l'ennui. Je les pourchasse jusqu'à leur nid de cafardset je les farde de blanc dès qu'ils se mettent à broyer du noir. Et vous qui êtes-vous ? Que cherchez-vous ?

 

LE COLONEL

Nous sommes en reconnaissance...

 

LE CLOWN

Vous êtes éclaireurs ? Eclairez ma lanterne, il fait si sombre par ici. Contre qui vous battez-vous ?

 

LE BLEU

Et bien, nous nous battons contre...

 

LE CLOWN

(Bondissant d'impatience) Contre qui ? Contre qui '? Allez, dites-le moi ! Hou, c'est excitant !

 

LE BLEU

Chef, je ne me souviens plus...

 

LE COLONEL

Mais si, soldat ! C'est évident !

 

LE CLOWN

(Mêmejeu) Contre qui ? Contre qui ?

 

LE COLONEL

(Troublé) Ah, ça alors, je ne me souviens plus... Qu'est-ce qu'il m'arrive ?

 

LE CLOWN

(Déçu) Ouais ! Ça va ! Laisse tomber, Gégé ! J'ai compris. Vous aussi vous faites partie de la troupe, du chapiteau. Ce n’est paspour de vrai, c'est ça ?

 

LE BLEU

Quel chapiteau ?

 

LE CLOWN

Et bien, le chapiteau qui est... (Cherchant autour de lui) ...qui est... (Il pleure) Bouh ! Bouh ! Il n'y a pas de chapiteau...

 

LE COLONEL

(Très méfiant) Ça sent le défoliant, soldat...

 

LE BLEU

Qu'est-ce qu'on fait chef?

 

LE CLOWN

Bouh ! Il n'y a pas de chapiteau !

 

LE COLONEL

II ne faut pas rester là ! Continuons !

 

LE CLOWN

Snif ! Je peux venir avec vous ? Snif ! J'ai peur, tout seul, sans chapiteau.

 

LE COLONEL

Tu n'es pas soldat. Tu ne peux pas rester avec nous.

 

LE CLOWN

Snif ! S'il vous plait, monsieur le capitaine !

 

LE COLONEL

Colonel.

 

LE CLOWN

Oui, pardon, snif !... Monsieur le général, s'il vous plaît !

 

LE COLONEL

(Levant la voix) Colonel !

 

LE CLOWN

(Cessant les plaintes et au garde à vous) Oui, à vos ordres maréchal !

 

LE COLONEL

(Désolé) En avant. Formation serrée...

 

LE CLOWN

Oui, oui, serrée, la formation. Serrée...

(Les soldats partent dans un sens, le clown dans l'autre.)

 

LE BLEU

(Revenant sur ses pas) Hé, psstt ! Leclown ! Par ici !

 

(Le clown, confus, rejoint le soldat. Ils sortent ensemble.)

(La brindille apparaît)

 

LA BRINDILLE

(En chantant) Bonne humeur ! Bonne humeur ! De monsieur le clown, la bonne humeur... Oh ! Cette musique... la musique... Pauvre petits soldats perdus... De la boue jusqu'en haut des godillots. Petits soldats désarmés, sans armée... Oh ! Encore une fois, s'il vous plaît. La musique. Je ne suis plus seule... Encore la musique et danser...

 

(On entend au loin une musique. La brindille sort en dansant.)

 

 

Scène 3

(La bergère entre l'air un peu triste)

 

LA BERGERE

Rien. Toujours rien. Je tourne inutilement en rond pour rien.

 

LE RAMONEUR

(Entrant de son côté) C'est vrai. Nous tournons. Nous cherchons en tournant.

 

LA BERGERE

Vous êtes là vous aussi ? Que disiez-vous ?

 

LE RAMONEUR

Lorsque nous sommes partis, tout à l'heure, j'ai tracé au sol, une croix de suie noire, (pointant son doigt vers le sol)

Regardez !

 

LA BERGERE

La marque de suie ! Mais alors, nous sommes enfermés ?

 

LE RAMONEUR

En rond... Qu'avez-vous ?

 

LA BERGERE

J'ai peur et c'est comme si j'avais peur pour la première fois.

 

LE RAMONEUR

Allons, n'ayez crainte. Vous devriez être contente de savoir que vous n'êtes pas seule. Je suis là, moi.

 

LA BERGERE

On peut être seuls, à deux... Si seulement j'entendais un de mes agneaux.

 

LE RAMONEUR

S'ils étaient là, ça se saurait.

 

LA BERGERE

On n’entend rien. Pas un bruit. J'ai peur...

 

LE RAMONEUR

Moi aussi. Pour la première fois...

 

LA BERGERE

(Effondrée) Je ne veux pas finir ma vie dans un trou sombre, sans lumière. Je ne me souviens plus. Est-ce là ma vie ?

 

LE RAMONEUR

(Doux et rassurant) Nous sortirons d'ici. Je vous le promets. Ne pleurez pas. Les larmes ne font aucune lueur dansl'obscurité...

 

(Une musique qui vient de loin) (Soudain les soldats entrent en menaçant le couple de leurs armes.)

 

LE COLONEL

Pas un geste. Identifiez-vous.

 

LE RAMONEUR

Qui êtes-vous ?

 

LE COLONEL

Ici, c'est moi qui pose les questions, petit.

 

LE BLEU

Tu as entendu ce que t'a dit le chef? Alors, réponds !

 

LE RAMONEUR

Que voulez-vous que je vous dise ?

 

LE COLONEL

Qui êtes-vous ?

 

LE RAMONEUR

Moi ? Je suis ramoneur. Ouvrier vaillant, (révérence) Votre éminence...

 

LE BLEU

(Désignant la bergère du bout de son canon de fusil) Et elle ? C'est qui ?

 

LA BERGERE

Bergère sans son troupeau. Vous ne l'auriez pas aperçu par hasard ?

 

LE BLEU

(Tout bas au colonel) Qu'est-ce qu'on fait chef ? Ils n'ont pas l'air dangereux...

 

LE COLONEL

Restons sur nos gardes, soldat.

 

(Entrée fracassante du clown.)

 

LE CLOWN

(II joue comme un enfant) Alerte ! Alerte ! Plus personne ne bouge... Nous sommes attaqués... Repliez-vous ! Repliez-vous !A l'assaut ! Tenez les rangs, mes gaillards ! Tenez les rangs ! (Faisant mine d'être touché par une balle) Aaaah ! Je suis touché... Continuezsans moi... Aaah ! Mort au champ d'honneur... (Il tombe puis se relève aussi sec) Alors, capitaine, mon lieutenant, j'étais comment ? Je suisengagé ? Je suis engagé, dites !?

 

LE COLONEL

(Agacés'adressant au Bleu) Soldat, ne vous ais-je pas demandé de tenir ce pitre sur nos arrières ?

 

LA BERGERE ET LE RAMONEUR

(Applaudissant ravis) Bravo ! Bravo !

 

LE CLOWN

(Tout en saluant) Merci. Merci.

 

LE BLEU

C'est ce que j'ai fais, chef, mais il est incontrôlable. C'est un clown...

 

LA BERGERE

(Réjouie) Monsieur le clown, votre arrivée ne pouvait pas mieux tomber. Vous nous réjouissez.

 

LE CLOWN

(Médusé) Oh ! Seigneur, la belle bergère que voilà...

 

LA BERGERE

Vilain flatteur. Amusez-nous plutôt, vous êtes habile.

 

LE CLOWN

Et pour bien d'autres choses. Je peux ravir les yeux et les oreilles et, comme Midas, transformer tout ce que je touche. Entremes mains, une chaise devient un nid d'amour et le cœur le plus sombre, une hirondelle au vent.

 

LE RAMONEUR

(Un peu jaloux) Mais vous ne savez plus à quel cirque vouer votre éloquence.

 

LE CLOWN

(Grimaçant) Quel noir personnage !

 

LE RAMONEUR

Noirceur du labeur. Maquillage forcé de celui qui débouche les cheminées.

 

LE CLOWN

(Révérence) Blancheur de l'auguste. Maquillage forcé de celui qui déride les plus coincés.

 

LA BERGERE

(Au ramoneur) Quelle mouche vous pique ?

 

LE RAMONEUR

Personne ne sait, ici, qui est qui et d'où nous venons. Mouche piquée peut être mais mouche enfermée...

 

(La brindille fait timidement son entrée)

 

LE COLONEL

Qui va là ?

 

LA BRINDILLE

Une petite fille. Je connais l'histoire d'une petite fille qui voulait jouer. Elle avait de beaux jouets : jouets de bois, jouetsde flanelle et de ruban, jouets de dentelle et de porcelaine. Par maladresse, colère ou paresse, elle les a tous brisé. Mais un jouet est un jouet,rien ne peut le remplacer.

 

LE BLEU

Que dis-tu ? Sais-tu où nous sommes ?

 

LA BRINDILLE

Je l'ai su. Il y a longtemps, longtemps que j'attends, trop longtemps. Et vous aussi, vous attendrez...

 

 

ACTE II

 

Scène 1

 

(La bergère et le ramoneur sont seuls dans un coin)

(Le clown, de son côté, répète quelques numéros)

(Le Bleu monte la garde)

(Le colonel tente d'allumer un feu avec du papier sous l'œil amusé de la Brindille)

 

LE COLONEL

(Agacé et agressif à la Brindille) Qu'est-ce que tu veux ? Laisse-moi tranquille.

 

BRINDILLE

(Comme une enfant impatiente) Encore, encore,... Allume le feu...

 

LE COLONEL

Je te dis de me laisser tranquille. Tu ne comprends pas ?

 

LA BRINDILLE

Pourquoi personne ne veut jouer avec moi ?

 

LE COLONEL

Je ne sais pas et je m'en moque. Laisse-moi je te dis.

(La Brindille, triste, recule dans son coin.)

 

LE COLONEL

Maudite pierre à briquet, maudite...

 

LE RAMONEUR

(Au colonel) Ce n'est pas comme cela que vous y arriverez.

 

 

 

LE COLONEL

(Piqué, toujours agressif) Depuis que Rome a formé ses centurions, un soldat connaît les attributs du feu et, ma foi, ce qu'unsoldat refuse, c'est qu'un civil se permette de...

 

LE RAMONEUR

Allons, monsieur, ne nous emportons point. Je ne pensais pas que mon avis vous blesserait. Mais, daignez considérerqu'un humble ramoneur n'a, pour toute science calorifique, que celle du feu de foyer. Et pour ce mot de « foyer », vous n'en avez jamais eu, c’est certain, à encroire cette humeur de solitaire endurci.

 

LE COLONEL

(Entre ses dents) Oh ! Que je ne l'aime pas ! Que je ne l'aime pas !

 

LE RAMONEUR

Cessez de bougonner comme vous le faites et montrez-moi cette pierre à briquet, (surpris en découvrant l'objet) Seigneur ! Vous qui vous dites soldat, descendant des centurions romains, vous tentez de taquiner l'étincelle avec une pierre en bois ?

 

LE COLONEL

En bois ? Qu'est-ce que vous dites ?

 

LE RAMONEUR

(Lui repassant la pierre) Voyez par vous même...

 

LE COLONEL

Est-ce possible ?

 

LA BRINDILLE

Bois ou porcelaine, voilà notre avenir. Bois ou porcelaine, il nous faudra en jouir...

 

LE COLONEL

Qu'a donc cette folle ?

 

LE CLOWN

(Qui depuis un instant avait suivi la discussion) Monsieur le maréchal...

 

LE COLONEL

Colonel.

 

LE CLOWN

Excusez amiral ! Je pense que cette petite en sait plus long que nous tous.

 

LA BERGERE

Que dis-tu le clown ?

 

LE CLOWN

Elle est, sans détour, la seule qui ne s'effraie point de notre situation.

 

(Tous les regards convergent vers la Brindille.)

 

LA BRINDILLE

(Inquiète) Pourquoi me regardez-vous tous ainsi ?

 

LE COLONEL

(Saisissant brutalement les poignets de la Brindille) Allons, dis-nous ce que tu sais !

 

LE RAMONEUR

(Levant le ton) Holà ! Doucement, militaire, vous l'effarouchez...

 

LE COLONEL

Un coup elle s'effraie, un autre elle s'égaie, (plus fort) A quel jeu joues-tu, miséreuse !?

 

LE RAMONEUR

(Obligeant le colonel à lâcher sa prise) Vous n'avez pas entendu ce que vous dit la bergère ?

 

LE COLONEL

(Lâchant prise)Une mutinerie ?

 

LE BLEU

(Un peu paniqué) Chef ? Qu'est-ce qu'on fait ?

 

LE COLONEL

(Dément)Une mutinerie, soldat ! Qu'on les fusille tous !

 

LE BLEU

Mais...

 

LE COLONEL

C'est un ordre, soldat !

 

LE BLEU

(Bataillant avec son arme) Flûte ! Mon fusil s'est enrayé...

 

LE COLONEL

Feu, soldat, feu ! (Retirant violemment l'arme des mains du « Bleu »)Donnez-moi ça, impotent ! Qu'est-ce que ça signifie ? (Fixant le  fusil) Du bois ? (Prenant le sien) Nos armes sont en bois ? Conspiration. C'est une conspiration. Un coup d'état... (Il s'enfuit dansl'obscurité en hurlant ces mots)

 

LE BLEU

Chef ! Où allez-vous, chef ?!

 

LE CLOWN

(Retenant le bleu par le bras) Laisse petit. Laisse-le. Je crois qu'il a besoin d'être un peu seul.

 

LA BRINDILLE

Seul ? La brindille connaît bien ce mot là...

 

LA BERGERE

(Doucement) Que sais-tu d'autre ?

 

LA BRINDILLE

Ce qu'il faut pour me taire. (Elle se recroqueville dans son coin)

 

LA BERGERE

Quoi ? Dis-le nous...

 

(On perçoit une musique qui vient de loin)

 

LA BRINDILLE

Ça !

 

 

Scène 2

 

(Le Bleu  fait les cent pas.)

(La bergère et le ramoneur jouent à la marelle avec la Brindille)

(Le clown répète toujours)

 

LE BLEU

(Entre ses dents) Pas logique... Pas logique, pourtant il doit y avoir une explication...

 

LA BERGERE

Qu'avez-vous, bon soldat ? Le sort de votre supérieur vous préoccupe encore ?

 

LE CLOWN

Un militaire réfléchit avec ses pieds et marche au pas cadencé avec sa tête.

 

LE BLEU

De l'esprit le clown ? Mais de réflexion en serais-tu privé ?

 

LE CLOWN

De réflexion ? Je ne reflète, mon prince, que les rires du public. En mille éclats ceux-ci explosent dans l'arène et filent commedes étoiles au firmament du chapiteau.

 

LA BERGERE

C'est beau.

 

LE BLEU

Quoi ?

 

LA BERGERE

Ce qu'il dit, c'est beau. C'est plein de lumières.

 

LA BRINDILLE

(En équilibre sur un pied) Je n'ai jamais vu de cirque. C'est comment ?

 

(Un silence. Tout le monde se regarde et retourne à ses occupations.)

 

LA BERGERE

Dites, monsieur le clown, que ferez-vous quand vous sortirez ?

 

LE CLOWN

Je construirai le chapiteau que j'ai perdu ou, au pire, j'en trouverai un autre.

 

LA BERGERE

Vous le trouverez. J'en suis certaine.

 

LE CLOWN

Vous êtes gentille. Savez-vous qu'il y aurait, sans doute, une place pour une bergère esseulée ? Nous pourrions peut être vous etmoi...

 

LA BERGERE

Ne vous méprenez pas sur mes intentions. Je dis cela car je cherche moi aussi...

 

LE CLOWN

Vos brebis égarées ? (Un temps) Et vous ?

 

LA BERGERE

Je ne sais pas si un seul troupeau suffirait à faire mon bonheur mais...

 

LE CLOWN

(Fixant, avec un sourire malin, le ramoneur) Mais un mouton noir...

 

LA BERGERE

(Gênée) Taisez-vous.

 

(Le ramoneur et la Brindille jouent ensemble à la marelle)

 

LE RAMONEUR

Allez, la Brindille, saute, saute, tu es presque au ciel...

 

LA BRINDILLE

Je le sais. J'y vais souvent... (Elle lève le nez au ciel)

 

LE RAMONEUR

Au ciel ? Tu vas au ciel ?

 

LA BRINDILLE

(Revenant à sa marelle) Oui... Le caillou est trop loin...

 

LE RAMONEUR

(Levant la tête au ciel) Le ciel ? (Réalisant) Le ciel ? La sortie est là-haut ? C'est ça Brindille ? Le ciel est la sortie ?

 

LA BRINDILLE

Le caillou... Trop loin... Le caillou...

 

LE RAMONEUR

Mais où vois-tu les nuages ou l'azur ? Je ne vois que l'obscurité...

 

LA BRINDILLE

(Toujours à sa marelle) Au dessus... Au dessus du couvercle... Le caillou est trop loin. Je n'arrive pas à l'atteindre.

 

LE RAMONEUR

J'en aurai le cœur net... (Il se saisit du caillou et le jette au dessus de lui)

 

LA BERGERE

Qu'y a-t-il ?

 

LE RAMONEUR

La Brindille dit qu'il y a une sortie, là, au-dessus...

 

LE BLEU

Tu es sûre ma fille ?

 

LA BRINDILLE

C'est de là que vient la jolie musique.

 

LE BLEU

Chut ! Je crois que j'entends...

 

LE CLOWN

(Pas dupe à la Brindille) Joli numéro, ma petite, mais avec moi, ça ne prend pas...

 

(On entend une musique)

 

LA BRINDILLE

(Dansant) La musique ! C'est la jolie musique !

 

(Dans un coin, seul, rampant, le colonel)

 

LE COLONEL

(Comme fou et se parlant parfois à lui-même, parfois à un bataillon de soldats invisibles.) Comme au combat... Sur le champ d'honneur... Les héros seront ceux qui bouteront l'ennemi jusqu'aux frontières. Les héros, soldats. Vous appartenez à qui ? A vous, chef ! Et vous mourrez pour qui ? Pour vous, chef ! Bandes de minables ! Rejetons crottés de vos mamans ! C'est moi, votre mère patrie à présent... Garde à vous ! Repos ! Entendez soldats, la musique de la liberté... Entendez ! Personne ne sortira. Personne. Nous resterons pour nous battre... Qu'est-ce que j'entends ? Nous resterons, chef ! Pas sortir... Il ne faut pas sortir...

 

 

 

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