LE PROCÈS AU CLAIR DE LUNE 22 Mai 2011

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DE LA REPRÉSENTATION PAR LES ETUDIANTS EN LETTRES DE L'UNIVERSITÉ DE LIMOGES

 

LE PROCES AU CLAIR DE LUNE

De Gianmarco Toto

 

PREAMBULE : On suppose que le monde mythologique basque existe depuis les temps où l’homme vivait dans des cavernes comme lieu de naissance et de mort. La richesse des entités légendaires du pays de Lurra, comme le nomment les basques, s’articule autour de symboles célestes et telluriques où toute l’âme basque se répand sur les sept provinces d’un pays qui gardent encore jalousement certains de ses secrets.

Ainsi Mari est la toute divine mère qui règne sur toutes les créatures vivantes et les éléments. La lune et le soleil sont intimement liés mais possèdent chacun leurs attributions : « l’un est la nuit que l’autre est au jour » (Adage).

Quiconque bouleverse les règles de cette croyance, transforme le monde et sa stabilité.

Guillen est accusée d’avoir  violé cette stabilité par cette simple idée de vouloir côtoyer l’astre lunaire comme une amie.

C’est aussi sa façon à elle de vouloir ce que le peuple basque cherche et cherchera encore : la liberté.

 

L’action se situe dans une caverne au cœur du Pays Basque où un tribunal de fortune a été mis en place.

NARRATEUR: - Le soir tombe sur le pays de Lurra* et la nuit imperturbable installe sa livrée d'ébène sur la campagne endormie. Tous le peuple nocturne est dans l'attente du procès de Guillen, la lamin* accusée d'avoir décroché dame lune. Le tribunal est installé dans le ventre d'une caverne afin que l'instruction reste confidentielle. Dans quelques instants, Guillen sera jugé et l'assistance, déjà présente, emplit la voûte terrestre de son murmure soutenu tel un vent de calomnies. Mesdames et messieurs, la cour !  Voici le bouc noir, président et juge de son état, il mènera l'instruction à son terme jusqu'à ce que le verdict s'en suive. Il est suivi de son greffier, le chat noir qui, grand adorateur de la lune, griffera sur son livre, les moindres événements du procès. L'accusation est représentée par la chauve-souris qui a juré la perte de ceux qui sèment le désordre et dont le caractère obstiné mènera tambour battant la plaidoirie. La défense, désignée d'office par le tribunal, est assurée par le loup, compagnon de l'astre immaculé et persuadé de l'innocence de son client. Quant à Guillen, accusée de tout et de rien, elle erre, son âme en peine et offerte aux arguments d'une cour hétéroclite. Pour uniques jurés, les pierres et l'écho de cette caverne.

LE BOUC: - Premier jour d'instruction sur l'affaire Guillen : la cour déclare le procèsouvert et se réserve le droit de le suspendre le moment venu et au lever du jour.Greffier, veuillez exposer les divers motifs d'accusation à l'encontre de la prévenue et faitesvite, j'ai une kermesse pastorale à l'aube.

LE CHAT NOIR: - Bien excellence ! (à Guillen) Accusé, levez-vous ! Vous déclarezvous mettre à disposition du tribunal ci-présent, de répondre à toutes ses questions etdire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. Dites je le jure !

GUILLEN: - Je le jure si de jurer est encore possible dans la nuit.

LE BOUC: - Guillen, veuillez-vous en tenir au strict nécessaire je vous prie et éviter descommentaires superflus. Poursuivez greffier !

LE CHAT NOIR: - Guillen ! Lamina de par sa nature, vous êtes accusée d’avoir enlevé dame lune et par ce fait de l'avoir décroché. Parvenu àvos fins, vous la retenez captive de l'autre côté de la voix lactée. Qu'avez- vous à dire pour votre défense ?

(Silence)

LE BOUC: - Accusée, répondez !

GUILLEN: - Si j'avais pu décrocher la lune, je l'aurais gardé pour éclairer vos âmeset mettre à jour votre méchanceté et la futilité de vos existences.

LE BOUC:- Vous niez en bloc et injuriez cette cour ? La parole est à l'accusation.

LA CHAUVE SOURIS: - Je vous remercie excellence et tâcherai de résoudre cetteaffaire avec le sérieux qui me caractérise. (À Guillen)Accusée, vous niez avoir volontairement kidnappé dame Lune, vous niez l'avoir caché parmi les constellations de la voix lactée, vous niez avoir menacé dame Nuit de ne plus retrouver sa compagne sielle n'exécutait pas vos souhaits à la lettre...

LE LOUP: - Objection, votre honneur ! L'avocat de la défense se permet d'anticiper letémoignage de dame Nuit avant que celle-ci ne soit complètement présente.

LA CHAUVE SOURIS: - Votre honneur, dois-je rappeler à la défense que tous leséléments contenus dans le dossier doivent faire l'objet d'un éclaircissement inévitable.

LE BOUC: - Objection accordée ! L'accusation attendra la tombée de la nuit ! C’est le moindre respect que nous devons aux témoins qui viendront à la barre. Poursuivez maître !

LE CHAT NOIR: - (Tout bas au juge) Votre honneur, la nuit est bientôt noire, nouspourrons l'appeler à témoigner mais pour l'instant il n'y a que l'ombre que nous pouvonsécouter.

LA CHAUVE SOURIS: - Alors accusée, je vous ai posé une question, nous attendonsvotre réponse !

GUILLEN: - Je n'ai rien à dire, mes mots se perdent dans la nuit...

LA CHAUVE SOURIS: - Garderez-vous le silence aussi, lorsque,  je le rappelle à lacour, nous avons trouvé sur elle de la poussière d'étoile, preuve irréfutable de sonvoyage parmi les astres. Et qu’allait-elle y faire dans les astres ?

GUILLEN: - Qu'avez-vous à répondre, accusée, pour votre défense ? (silence)(Au greffier)Elle est sourde, ma parole !

CHAUVE SOURIS:- Non, votre honneur, elle est rêveuse. Il n'y a que ceux qui ontapproché la Lune qui restent rêveur,(à Guillen) Alors, répondez au juge et cessez degarder ce silence qui finira par être un aveu à nos yeux.

GUILLEN: - Ce silence, ce silence..., ce silence est le silence de mon infortune, c'est labarque de mon indifférence qui coule imperturbable sur le ruisseau de mes rêves. Et si la nuit est le silence, alors les étoiles en sont les reflets et c'est pour apprendre à me taire que je me recouvre de poussière d'étoile. C'est pour apprendre à vous taire que la nuitvous cloue le bec afin de vous éviter des paroles inutiles et des soupirs trop grands. Lesilence, c'est le sommeil quand il est au fond, c'est le brouillard quand il est sur nous,c'est un aveu qui ne s'entend pas et un cri qui ne se voit pas. Ce sont des mots aveuglesqui nous éblouissent et nous laissent perdus dans l'immensité du ciel.

LA CHAUVE SOURIS: - (se retournant vers le juge) C'est une folle !

LE LOUP: - Ou un poète !

LE CHAT NOIR:- Votre honneur, nous devons poursuivre avec les témoins à labarre.

LE BOUC: - Bien, faite appeler le premier témoin à la barre !

LE CHAT NOIR:- J'appelle, le premier témoin à la barre !

LE NARRATEUR: - Du fond de la caverne avance l'Ombre, noire comme la nuit et souple comme le roseau. Elle se faufile jusqu'à la cour et là se pose sur une des parois de la grotte.

LE CHAT NOIR: - Veuillez décliner, à la cour, votre identité.

L'OMBRE: - Je suis l'ombre, la mère de la nuit, c'est moi qui donne la différence et quifait naître l'obscurité.

LE BOUC: - Ombre. Est-il vrai, sauf votre respect, que les hommes ont parfois peur de vous ?

LA CHAUVE SOURIS: - (ricanant) Oui, c'est exact votre honneur. Cela m’amusede voir que les hommes ont toujours eu peur de leur ombre.

(Le juge, le greffier et la chauve souris rient de cette boutade.)

L'OMBRE: - (Menaçante.) Et toi, chauve-souris, n'as-tu jamais craint ton ombre et te retournantpour la suivre, constater qu'elle n'est plus là, mais qu'elle serre lentement ton cou pour t'anéantir. Ne dit on pas que l'ombre de la mort plane sur nous ou bien qu'il existe bel etbien un royaume des ombres ?

LA CHAUVE SOURIS: -(visiblement terrifiée) Ce n'est pas à vous deposer des questions, c'est à la cour, veuillez vous écarter de moi, je vous prie.

LE BOUC: - L'accusation a raison, ombre, contentez-vous de nous éclairer.

L'OMBRE: - Comment le pourrais-je ?

(Rumeurs et rires dans l'assistance)

LE BOUC: - Silence ou je fais lever l'audience !

LE GREFFIER: - Votre honneur, est-ce que je note l'incident sur le registre ?

LE BOUC: - II n'est pas nécessaire. (À l'assistance)Nous poursuivons ! La parole està la défense !

LE LOUP: - Ombre, je sais par "on dit" que...

LA CHAUVE SOURIS: - Objection ! Les "on dit" ne sont que des rumeurs et nepeuvent être qualifiés de témoignages !

LE BOUC: - Objection accordée ! Poursuivez maître !

LE LOUP: - Ombre, est-t' il vrai que tu as, plus d'une fois, surpris Guillen se promenantau petit jour, en toi ?

L'OMBRE - Dans l'ombre, oui, c'est exact, elle y était sans doute à son aise. Souventpour se cacher ou trouver une quelconque sérénité, les êtres viennent en moi et trouventun repos obscur de l'âme ou une intimité. Sais-tu ce que c'est que l'intimité toi, le loupqui parcours les monts, accompagné de ta horde ? L'intimité c'est l'univers du solitairequi, dans l'ombre, épure, de toutes les couleurs, son image. Ainsi il laisse libre cours àtoutes ses prières, tous ses secrets. Je connais des secrets !

LE BOUC: - Alors, peut-être, connais-tu le secret de Guillen ?

L'OMBRE :- L'ombre ne connaît pas de mensonges, elle ne voile que des vérités pourmieux les mettre à jour, un jour, plus tard.

LA CHAUVE SOURIS:- Mensonge ! Tu caches quelque chose !

GUILLEN: - Elle ne cache rien, elle ne voile que la lumière. Elle me rafraîchit quandma tête est en feu. Elle protège du soleil quand celui-ci est meurtrier et te donnegénéreusement ce moment de repos que tu mérites après avoir cherché la lumière.

LA CHAUVE SOURIS: - Alors tu es la complice de Guillen !

LE LOUP: - Objection ! L'accusation profite de ce moment pour nuire à la liberté dutémoin. On ne peut enfermer l'ombre et la mettre… à l’ombre. Elle est libre. La défense en a terminé avec le témoin.

LE BOUC: - Tu es libre Ombre, mais remercie la nuit de n'être pas une ombrechinoise car alors, tu serais une totale création. Notez greffier !

LE CHAT NOIR: - L'ombre est noire et sans mesure, elle n'est pas chinoise, elle estunique, sans la lune elle ne serait pas ombre de la nuit.

LE BOUC : - Témoin suivant !

LE CHAT NOIR: - La cour appelle le rôdeur !

LE BOUC: - Et la Nuit n'est toujours pas présente ?

LE CHAT NOIR: - Non votre honneur, elle n'est pas encore noire.

LA CHAUVE SOURIS: - (impatiente et n'ayant pas vu l'entrée discrète du rôdeur) Alors ce rôdeur, toujours pas là ? Il rôde !?

LE RODEUR: - Non, maître, je suis ici, mais vous ne m'avez pas entendu. C'est inévitable, un rôdeur doit rester silencieux.

LE BOUC: - Et bien, contentez-vous de répondre aux questions de la cour ! Greffier,enregistrez sa déposition.

LE CHAT NOIR: - Déclinez votre identité.

LE RODEUR: - Je m'appelle rôdeur, j'erre à la nuit tombante dans l'obscurité avecpour unique lanterne la rondeur de la lune.

LE CHAT NOIR: - Jurez-vous de dire toute la vérité et rien que la vérité ? Dites je lejure.

LE RODEUR: - Je le jure.

LE BOUC: - La parole est à l'accusation !

LA CHAUVE SOURIS: - Rôdeur, n'as-tu point remarqué un détail insolite, la nuitdernière, concernant l'accusée Guillen ?

LE RODEUR: - Je l'ai vu, en effet, la nuit passée, sous un peuplier, le nez aux étoiles et parlant à la lune.

LA CHAUVE SOURIS: - La cour prendra note que la prévenue était en discussion avecdame Lune l'autre nuit. Et que faisait-elle en compagnie de la disparue ?

LE RODEUR: - Elle rêvait, le regard embué de larmes. Je ne pouvais entendre les motsqu'elle prononçait mais ils devaient être doux et langoureux.

LA CHAUVE SOURIS: - Donc on peut supposer que Guillen essayait d'attirer la luneà elle, par un quelconque subterfuge poétique et ainsi commettre son méfait en toute aisance...

LE LOUP: - Objection votre honneur ! L'accusation se permet des conclusions trophâtives sans être certaine que le rôdeur ait réellement vu Guillen décrocher la lune.

LA CHAUVE SOURIS: - Votre honneur, je propose simplement une hypothèse à lacour puisque le rôdeur était présent à ce moment là.

LE BOUC: - Rôdeur, as-tu vu Guillen décrocher la lune et l'emporter avec lui dans la voie lactée ?

LE RODEUR: - Je n'ai vu votre honneur que ce que la nuit a bien voulu me laisservoir et mon rôle n'est pas d'observer mais de rôder. Si j'avais remarqué une quelconque disparition de la lune, la nuit totale et sombre m'aurait envahi et plongé dans l'obscurité.Il m'aurait été impossible de voir Guillen. Mais son regard se posait sur elle comme un amoureux sur la fenêtre éclairée de sa belle. Il avait l'air triste et ses paroles montaienten volutes blanches de buée.

LE BOUC: - Vous prétendez n'avoir donc rien vu étant là, pourtant unique témoin dela situation.

LA CHAUVE SOURIS: - II ment ! Cela se voit comme deux cornes sur un taureau !

LE BOUC:- (à la chauve-souris) Maître, surveillez vos propos, je vous prie...

LE LOUP: - Un rôdeur ne se voit pas. Il se devine comme des mots à demiprononcés. Il est un être fait de murmures et de pas de velours.

LA CHAUVE SOURIS: - Mais qu'avez-vous fait alors la nuit passée ?

LE RODEUR: - J'ai laissé Guillen à sa solitude et j'ai poursuivi ma route car la nuit,sous la pleine lune, il faut laisser les âmes en peine se promener ou rêver. C’est ainsi qu'elles trouvent le remède à leur ennui. Moi, mon ennui est mon ouvrage. J'inquiète les paysans lorsque le poulailler se met à crier, je fais peur aux enfants derrière la fenêtre de leur chambre. Je rappelle ainsi à tous les mortels que la nuit n'est pas faite pour eux, sauf si leur âme s'ennuie. (Il sort)

LA CHAUVE SOURIS: - (Dépitée et en colère.) On devrait enfermer tous les rôdeurs de la terre, ils ne servent à rien, si ce n'est à effrayer les bonnes gens. Pouah ! Quel monde !

LE BOUC: - Notez, greffier !

LE CHAT NOIR: - Le poulailler crie, les enfants s'enfuient car le rôdeur s'ennuie.Quel programme ! Nous n'allons, peut être, jamais découvrir le coupable, votrehonneur. Ou alors il serait possible que le rôdeur soit…

LE LOUP: - Ou toi peut-être, car le chat noir erre aussi toutes les nuits comme uneâme en peine. On entend, souvent, le soir, miauler lamentablement ta personne sur les toits et tesgriffes ont pu parfaitement lacérer darne lune comme tes ancêtres égyptiens auraient fait d’un papyrus tout blanc.

LE CHAT NOIR: - (Effrayé) Non, non, ce n'est pas moi, j'aime la lune, j'aime la lune,elle m'éclaire la nuit, elle m'éclaire.

LE LOUP: - Si elle pouvait éclairer tes idées on n'en serait pas là !

LE BOUC: - Silence, vous deux ! Greffier, annoncez les prochains témoins à la barre.

LE CHAT NOIR: - La comète est demandée à la barre, la comète !

(Tout à coup un éclair et une grande lumière envahissent la caverne)

LA CHAUVE SOURIS: - Ciel ! La lumière de Dieu !

LE LOUP: - Non, c'est sa clémence !

LE CHAT NOIR: - Pitié, mes poils vont roussir !

LE BOUC: - Silence ou je fais lever l'audience ! Mais quelle est cette lueur aveuglante ?

(Tous les protagonistes s’immobilisent comme pétrifiés. Seul Guillén reste animé.)

GUILLEN: - C'est elle, je l'attendais, c'est elle, je l'ai toujours attendu, mon étoile, mabonne étoile !

LA COMETE: - (Accompagnéed’une grandelumière blanche) Guillén, ma bonne Guillen, que fais-tu ici et où sont tes amis ?

GUILLEN: - Je suis seul, mon étoile, je suis seul et dans un autre monde, je ne suis niici, ni ailleurs...

LA COMETE: - J'ai quitté la voix lactée. A l'instant même, toutes les galaxies et lesnébuleuses cherchent notre compagne dame Lune, mais en vain. Elle a disparu.

GUILLEN: - Je suis innocente et pourtant, à la fois, je me sens tout aussi coupable de sa disparition. Tu le saistoi, tu l'as vu...

LA COMETE: - Oui, Guillén, j'ai tout vu, mais je ne puis rien pour toi. C'est toi qui dois prouver ton innocence, c'est toi qui dois redonner sa place à la lune en nettoyant ton âme de toutes ces tristes pensées. Adieu, Guillen, je ne peux rester plus longtemps. Nous te surveillons de l'espace. J'ai figé temporairement ton tribunal afin qu'il n'entende pas cette discussion. Dès mon départ tout redeviendra comme avant.

(La lumière disparaît)

GUILLEN: - Mon étoile ! Mon étoile ! Reviens ! J’ai besoin de ton aide !

LA CHAUVE SOURIS: - Hein ! Tu appelles ton étoile ? Il n'y a pas d'étoile ici.

LE BOUC: - Que s'est-il passé ? Il règne en moi comme une absence ?

LE CHAT NOIR: - II est vrai. Comme si le temps s’était figé et tout à coup retrouvaitson chemin. Rien sur mon registre. Aucune griffure, rien n'y est écrit...

LE LOUP: - C'est le temps qui passe pour nous prévenir de notre retard, c'est le temps qui joue pour se jouer de nous, c'est le temps qui va pour s'en aller plus vite, c'est letemps cheveux blancs et rides du visage, c'est le temps qui nous construit et qui un jour nous ruinera, tous !

LE BOUC: - (au loup) Allons, maître, reprenez-vous, vous délirez !

LA CHAUVE SOURIS: - (trépignant sur place) Allons, dépêchons-nous, le temps passe et nous n'avons toujours pas prouvé la culpabilité de cette lamin délinquante. Des témoins, donnez-moi des témoins !

LE CHAT NOIR: - Votre honneur je sens comme une présence qui me dresse le poil etme fait sortir les griffes !

LE BOUC: - Que veux-tu dire ?

LE CHAT NOIR: - Je connais cette odeur de soufre, elle me rappelle une sorte decérémonie que mes aïeux appelaient sabbat...

LE BOUC: - Alors, les prochains témoins sont...?

LA CHAUVE SOURIS: - Je n'ose y penser... !

LE LOUP :- Je suis terrifié...

LE BOUC, LE CHAT NOIR, LE LOUP ET LA CHAUVE SOURIS: - (ensemble avec effroi) Les sorcières !

(Deux sorcières entrent en dansant une valse grotesque au milieu des clameurs de l’assistance.)

LE BOUC: - Silence ! Quelle est cette mascarade ?! Silence ou je fais lever l'audience ! Greffier, faites quelque chose, ne les laissez pas s'approcher !

LE CHAT NOIR: - Que voulez-vous que je fasse ? Quand elles sont là, le chat noir estimpuissant !

SORCIERE 1: - Est-ce ce vaste tribunal de crapauds qui nous a convoqués...?

SORCIERE 2: - Ou peut être est-ce une nouvelle forme de cérémonie inconnue jusqu'alors,chère sœur ?

LA CHAUVE SOURIS: - Silence, harpies ! Si vous ne portez pas plus de respect à notre cour, il vous en cuira !

SORCIERE 1: - Tais-toi, vulgaire chauve-souris ! Nous n'avons que faire de tes menaces, mais de tes ailes broyées, nous en faisons de la poudre qui nous sert d'élixir d'amour...

LA CHAUVE SOURIS: - Non, ne m'approchez pas, allez-vous en, allez-vous en ! ! !

LE BOUC: - Il suffit ! Cette plaisanterie a assez duré !

(A ces mots les sorcières se prosternent aux pieds du bélier.)

LE BOUC : (Flatté.) C'est amusant ! Qu'est-ce qui leur prend ?

LE LOUP: - La créature qu'elles vénèrent, lors de leur cérémonie, prend en général l'apparence d'un bouc ou d'un bélier, votre honneur.

LE BOUC: - Surprenant ! Et quelle est donc cette créature qu'elles adorent avec tantde zèle ?

LE LOUP: - (Cynique) On prétend que c’est le diable en personne, votre honneur !

LE CHAT NOIR: - J'en suis tout tremblant !

LE BELIER: - (Ennuyé) Bien,...heu,...Relevez-vous je vous prie !

SORCIERE 1 : - Tes désirs sont des ordres, ô, vénéré maître !

SORCIERE 2 : - Que pouvons-nous faire pour servir sa grande noirceur ?

LE BOUC : - Répondre à mes questions ! Déclinez votre identité !

SORCIERE 1 : - Nous sommes sorcières de notre état...

SORCIERE 2 : - ... Et tous les soirs nous allons au sabbat...

SORCIERE 1 : -... Nous sommes d'immondes sorginak...

SORCIERE 2 : -...Et tous les soirs, nous dansons pour toi...

(Elles répètent encore une fois les mêmes mots tout en dansant)

LE BOUC:- Silence ! (Désignant Guillen du sabot.) Connaissez-vous cette lamin ?

SORCIERE 1: - Nous en connaissons tellement, maître, que...

SORCIERE 2: - A moins que nous ne l'ayons déjà aperçu au col de Roncevaux ?

SORCIERE 1: - Ou à la caverne de Zugarramurdi* ?

SORCIERE 2 : - Ou aux grottes de Sare* ?

SORCIERE 1 : - Tu dis n'importe quoi, nous l'avons aperçu dans la tour des sorcières.

SORCIERE 2 : - Mais non, je sais, dans le chaudron du dernier sabbat.

SORCIERE 1 : - Foutaises ! Dans tes culottes, oui !

SORCIERE 2 : - Et toi, dans ta barbe, vieux rat !

SORCIERE 1 : - Et toi, sur ton bûcher, vieux tas !

SORCIERE 2 : - Vielle peau ! Si je t'attrape...(L’une court après l'autre et vice versa)

LE BOUC: - Vous allez vous taire à la fin !?

LES SORCIERES: - (Ensemble) Nos excuses, ô, maître !

LE BOUC: - Alors, vous l'avez déjà vu oui ou non ?

SORCIERE 1: - A vrai dire, nous en voyons tellement et tous les jours....

SORCIERE 2: - Nous sommes incapables de dire si nous l'avons aperçu à tel ou tel endroit...

LE LOUP: - Savez-vous si les laminak ont l'habitude de décrocher la lune ?

SORCIERE 1: - Question étrange ! De mémoire de sorcière, j'ai vu les laminak fairetoutes sortes de tours...

SORCIERE 2: - ...Mais à ma connaissance, je n'ai jamais vu de lamin décrocher lalune...

LE LOUP: - Votre honneur, sauf votre respect, cela fait presque toute la nuit que nous cherchons à accuser Guillén qui, d’après les témoingnages, reste innocent...

LA CHAUVE SOURIS: - Objection, votre honneur ! L'avocat de la défense se permetdes conclusions hâtives, nous n'avons pas terminé d'interroger tous les témoins !

LE LOUP: - Comment peux-tu, toi, chauve-souris, te permettre d'assouvir ta soif exacerbée de justice à tel point qu’elle est un échafaud où la tête de tous les innocents de ce pays risquent de rouler impitoyablement ? As-tu, toi même, parcourant le ciel de la nuit, déjà aperçu une frêle créature décrocher l'astre des millions de fois plus gros que lui ? Vas-tu brûler toutes les sorcières de ce pays et jeter leurs cendres au firmament pour voir si cette poussière deviendra étoile ? Vas-tu secouer, de tes ailes élastiques, toutes les montagnes de Navarre ? Je sais quel motif pressant te fait agir de la sorte, je connais les mauvaise fées qui te guident ! Elles s'appellent cupidité et gloire !

LA CHAUVE SOURIS: - Votre honneur, c’est de la diffamation.  Je demande réparation et que l'avocat de la défense soit renvoyé de la cour !

LE CHAT NOIR: - Que fait-on votre honneur ? La situation est très critique.

LE BOUC:- Que les sorcières sortent, nous n'avons plus besoin de leur témoignage !

(Les sorcières disparaissent)

LE BOUC : - (En faisant signe au loup et à la chauve-souris d’approcher.) Je demande à la défense et à l'accusation d'éviter ce genre de discussions, cela entrave la bonne marche du procès. Poursuivez greffier !

LE CHAT NOIR: - Nous n'avons plus de témoins, votre honneur !

LE BOUC: - Et pourquoi ?

LE CHAT NOIR: - Le jour se lève !

GUILLEN: - Le jour se lève et moi, je rejoins l'éternité. Ici se termine ma vie de lamin, car avec le jour disparaissent mes espérances. Et le silence de la lune reste une accusation. Je suis las, je voudrais partir, sur d’autres astres, pourquoi pas. M'en aller, sous mon bras des sacs plein d'étoiles et de poudre de soleil.

LE LOUP: - Votre honneur, Guillén vient de me donner une idée. Si le jour se lève cela veut dire que le soleil va apparaître ?

LE BOUC: - Précisez, je vous prie !

LA CHAUVE SOURIS: - Oui, précisez, précisez !

LE LOUP: - Et bien, s'il y a bien quelqu'un qui connaît mieux que personne dame Lune, n'est-ce pas le soleil ?

LE BOUC: - Ingénieux, en effet. Greffier quel est votre avis ! ?

LE CHAT NOIR: - Un peu de soleil pour m'étirer le corps et chauffer le poil, pourquoi pas.

LE BOUC: - Et vous, chauve-souris, votre avis ?

CHAUVE SOURIS:- Ah, moi, je ne le supporte pas. Le soleil m'incommode. Je suis sûr que la défense le fait exprès pour m'humilier, c'est un complot !

LE LOUP :- L'humiliation de cette cour c'est toi. Un témoin supplémentaire, comme le soleil et qui fera toute la clarté sur cette affaire, votre honneur, c'est notre dernière chance !

LE BOUC: - (après un temps de silence) Requête accordée. Fait entrer le témoin soleil !

LE CHAT NOIR: - J'appelle le soleil à la barre.

(Une grande lueur orangée pénètre dans la caverne et éclaire toute la cour, le soleil fait son apparition)

LE SOLEIL: - Qui ose me déranger au petit matin ?

LE BOUC: - Soleil, nous t'avons convoqué pour éclaircir une affaire importante. L'accusé Guillén, ici présent, est soupçonné d'avoir décroché la lune et de l'avoir fait disparaître. Tous les témoignages que nous avons entendus  jusqu'à présent, ne nous ont été d'aucune utilité.

LE SOLEIL: - La lune ? La lune a disparu ? (Le soleil pousse un énorme rire)

LA CHAUVE SOURIS: - Pourquoi rit-il bêtement ? Il me fait mal aux yeux !

LE BOUC: - Soleil, qu'est-ce qui vous prend ?

LE SOLEIL: - II me prend que je viens d'ouïr la plus belle sottise que je n’avais jamais entendu jusqu’alors .

LE BOUC: - Précisez !

LA CHAUVE SOURIS: - Oui, précisez, précisez !

LE SOLEIL: - Apprenez, stupides animaux, que la lune disparaît une fois par mois. Elle devient lune noire et n’apparaît donc plus aux yeux des êtres vivants. Elle profite, lors de ce jour de congé, pour venir me rendre visite. Nous avons fort agréablement conversé toute la nuit et nous nous sommes quittés à l’aube.

LE BOUC: - C'était donc ça ?

LA CHAUVE SOURIS: - J'en reste tout pantois !

LE CHAT NOIR:- Et moi tout flagada !

LE LOUP: - A la bonne heure, Guillen, tu es libre, plus personne ne t'accusera !

GUILLEN: - Savez-vous quelle est ma seule déception dans cette affaire ? C'est de n'avoir pu rencontrer Dame Lune comme le soleil le fait si souvent. Quelque fois, je rêve que je suis un soleil et que je dîne, une fois par mois, à ses côtés.

LE SOLEIL: - La lune est à tout le monde, Guillen, tu dois en profiter comme les autres. Mais je lui demanderai de te faire monter pour un croissant au petit déjeuner.

Là, tu pourras t'asseoir et discuter avec elle.

(La caverne se vide de ses occupants.)

(Noir.)

 

Glossaire :

  • Lurra : nom en langue basque donné à la terre des basques.
  • Lamin : sorte de lutin au Pays-Basque. Les laminak sont en général toutes de sexe féminin.
  • Zugarramurdi : village de Basse-Navarre en Pays-Basque dont l’histoire et les légendes sur la sorcellerie sont réputées.
  • Sare : village du Labourd en Pays-Basque connu pour son cachet et sa grotte dont les légendes liées aux laminak se racontent encore de nos jours.

 

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