LE ROI QUI NE SENTAIT PAS LA FLEUR 20 Mai 2018

LE ROI QUI NE SENTAIT PAS LA FLEUR

De Gianmarco Toto

 

Un chœur de conteurs fait son entrée en se bouchant le nez.

LE CONTEUR

Il était une fois un roi… Un roi comme les autres… Enfin presque comme les autres… En même temps, un roi c’est toujours un peu la même chose : il règne un point c’est tout…

UN AUTRE CONTEUR

Cependant, celui-là, le roi de notre histoire, Stanislas, avait un petit souci tout à fait singulier…

UN AUTRE CONTEUR

C’était un roi qui ne sentait pas la fleur… Et chacun le savait dans le royaume… D’autant plus que c’était un roi très, très, très, autoritaire et dont chacun craignait les colères qui étaient aussi fortes que son odeur pouvait être pestilentielle.

UN AUTRE CONTEUR

Sur ce point, il est peut être bon de préciser que plus ce roi hurlait fort et plus il sentait fort. C’est en effet une curiosité physiologique qu’il est nécessaire de ne préciser pour la suite de cette histoire.

UN AUTRE CONTEUR

De plus, cet inconvénient prenait parfois des proportions très embarrassantes pour les sujets de sa majesté lors des grands rassemblements de la cour.

La cour du roi est réunie autour de son souverain.

STANILAS

Que les seigneurs de mes terres s’avancent et m’apportent des nouvelles du royaume !

Un seigneur s’avance timidement devant le roi mais tout en gardant ses distances.

STANISLAS

Et bien, qu’attends-tu, maudit bougre ? Approche un peu plus que je puisse entendre tes propos.

Le seigneur fait un petit pas en direction du roi.

LE CONTEUR

(En aparté au public.)

Ca y est ? Vous comprenez à présent ? C’était dans ces moments-là que l’inconvenante anomalie de ce monarque prenait tout son sens. Comme personne n’osait s’approcher de lui, cela l’agaçait plus que tout et à fortiori l’enrageait au plus haut point. Et lorsque sa colère s’intensifiait, son odeur suivait le même chemin.

STANISLAS

(Très en colère.)

Vas-tu donc te rapprocher, vil pourceau où dois-je te faire fouetter par mes hommes ?

La cour du roi est soudain prise d’un malaise.

UN CONTEUR

Et c’était toujours la même chose pour chacune de ses apparitions en public. Quand par exemple, il s’adonnait à l’inspection de ses troupes armées…

Le roi et son lieutenant passe en revue une troupe au garde à vous. Au passage de leur monarque, les soldats se tiennent étrangement penchés en arrière.

STANISLAS

Qu’ont-donc ces bougres, lieutenant ? Ne savent-ils donc pas se tenir droit ?

LE LIEUTENANT

C’est que, mon bon roi, l’armée est un peu fatiguée de sa dernière campagne et…

STANISLAS

(Furieux)

Bougre de cancrelats ! Mon armée ne doit jamais montrer des signes de faiblesse ou de fatigue. Que penserait l’ennemi. Je vous ordonne de vous tenir droit !

L’armée du roi est soudain prise d’un malaise.

UN CONTEUR

Il y avait toutefois un avantage certain à ce terrible défaut dont était victime l’infortuné roi Stanislas. Lorsque l’envahisseur venait semer le trouble et le désordre dans le royaume, leurs armées étaient vite évincées de la bataille.

L’armée du roi se bat contre l’ennemi.

STANISLAS

(Surgissant l’épée à la main et la fureur sur le visage.)

A l’assaut, mes gaillards ! Boutons l’ennemi hors de nos frontières…

L’armée ennemie, prise d’un soudain hoquet, s’effondre.

UN CONTEUR

Ce pauvre roi qui ne sentait pas la fleur avait une fille prénommée Rosemonde. Elle était belle et sensible mais très malheureuse.

UN CONTEUR

En effet, il était impossible de trouver un prince pour cette douce enfant tant la réputation du père était mauvaise. A chaque visite d’un prétendant, c’était encore et toujours la même histoire.

Le roi reçoit un prétendant qui vient demander la main de Rosemonde.

STANISLAS

Approche, jeune homme, que je puisse te voir un peu mieux.

UN PRÉTENDANT

(Il s’approche tout à fait, met un genou à terre pour faire sa demande, puis…)

Sire, je… Je viens devant vous… J’ai le grand honneur de vous demander…

STANISLAS

(Irrité par les signes de malaise du prétendant.)

Et bien, pauvre sot, ne sais-tu pas aligner deux phrases correctement ?

Pour toute réponse, le prétendant s’évanouit.

UN CONTEUR

Il n’y avait qu’un seul endroit dans le royaume où un unique représentant de ses sujets pouvait s’accommoder de sa terrible odeur : les jardins du palais et son jeune jardinier, Jocelyn, qui était secrètement amoureux de Rosemonde.

UN CONTEUR

Ce dernier cultivait des fleurs et des plantes si odorantes que celles-ci réussissaient à faire oublier la pestilence si redoutée du roi. Il était d’autant plus protégé que dès sa naissance de bonnes fées vertes s’étaient penchées sur son berceau et ne le quittaient jamais.

Dans les jardins du palais, Jocelyn soigne ses fleurs en poussant de grands soupirs. Ses bonnes fées apparaissent.

CAMPANULE

Tiretirelirela ! Quelle sieste j’ai fait là !

MYOSOTIS

Enfin, te voilà réveillée ! A force de dormir tu vas toute te faner.

AZALÉE

Tiretirelirela ! Et de perdre les ailes, tu te plaindras !

CAMPANULE

Elles me fatiguent ces deux-là ! Je crois que je vais aller me recoucher !

AZALÉE

Ah, non ! Ce n’est vraiment pas le moment ! N’entends-tu donc rien ?

MYOSOTIS

Ne perçois-tu pas les étranges soupirs qui hantent ces allées ?

CAMPANULE

Non, je n’entends que deux pipelettes bonnes à jacasser.

MYOSOTIS

Qu’est-ce que je disais ? La voilà sourde comme un pot.

CAMPANULE

Fais attention à ce que tu marmonnes, toi. Sinon je te transforme en vieille ortie.

AZALÉE

Ah non, vous n’allez pas recommencer à vous disputer. Observez donc plutôt notre petit jardinier. Ne trouvez-vous pas qu’il est différent aujourd’hui ?

CAMPANULE

Il soupire beaucoup. Mais pourquoi donc ?

MYOSOTIS

Horreur ! Croyez-vous qu’il fait une allergie au pollen ?

AZALÉE

Ne dis donc pas de sottise, nous l’avons préservé de tous ces petits désagréments dès sa naissance. Ecoute plutôt. Ce ne sont pas des soupirs allergiques mais des soupirs d’amour.

MYOSOTIS

Manquait plus que ça. Notre jardinier est amoureux ?

JOCELYN

Je vous entends, mes bonnes petites fées. Et je me demande de quoi vous pouvez bien vous mêler.

MYOSOTIS

Dois-je te rappeler que nous nous sommes toujours occupés de toi ?

CAMPANULE

Que nous veillons sur ta petite personne depuis ton plus jeune âge ?

AZALEE

Et que nous avons fait de toi le jardinier le plus réputé de ces contrées ?

JOCELYN

Allons, allons, ne faites-pas ces mauvaises mines, vous aller faire peur à mes fleurs.

AZALEE

Le comble ! Et tu ne crois pas que tes soupirs répétés ne vont pas finir par lasser tes plantes ?

JOCELYN

Non car elles me comprennent et me soutiennent, elles. Pas comme certaines qui ne font que bavasser  en se prélassant dans mes jolies haies.

CAMPANULE

(Vexée comme ses deux sœurs.)

Oh, tiretirelirela, entendez-vous ce vilain oiseau là ?

JOCELYN

(Soudain inquiet, en levant la main pour faire taire les fées.)

Chut ! Taisez-vous, bavardes que vous êtes ! J’entends des sanglots tout proches.

CAMPANULE

(Feignant le chagrin.)

Ce sont les pleurs de nos cœurs que tu as meurtri de tes vilains propos.

JOCELYN

Taisez-vous ! Ça vient de là-bas. (A la cantonade.) Qui pleure entre mes acacias et mes tulipes ? Montrez-vous !

ROSEMONDE

(Elle avance timidement, tout en essuyant son visage mouillé par les larmes.)

C’est moi, Jocelyn…

MYOSOTIS

Ciel, la fille du roi qui pue !

JOCELYN

(Agacé à Myosotis)

Tais-toi. Elle pourrait t’entendre, mauvaise fille ?

ROSEMONDE

(A Jocelyn avec surprise.)

Que dis-tu ?

JOCELYN

(Un genou à terre en s’inclinant.)

Oh, princesse, mille pardons. (En adressant un regard sévère en direction des fées.) Je parlais tout haut à de méchantes guêpes qui tournent autour de moi depuis trop longtemps déjà. (Revenant vers la princesse.) J’aurai du reconnaître vos sanglots entre tous…

Les trois fées croisent les bras en signe de colère.

ROSEMONDE

Ce n’est rien, mon ami. Tu étais si attentif à prendre soin de tes fleurs… C’est bien plus intéressant  que de s’occuper des plaintes d’une princesse déshonorée… (Elle s’effondre en larmes encore plus fort.)

JOCELYN

Déshonorée ? Qui vous a manqué de respect, princesse ? Montrez-le-moi que je lui assène un coup de ma binette sur sa pauvre tête…

ROSEMONDE

Mais tu ne le pourras pas car c’est de mon père dont je te parle en vérité.

JOCELYN

(A la fois étonné et effrayé.)

Votre père, le roi ? Le roi vous a manqué de respect ? Mais comment ? Je ne comprends pas. Lui qui vous chérit plus que tout au monde…

ROSEMONDE

Non, Jocelyn, c’est son odeur… Cette odeur qui le suit partout, qui me discrédite aux yeux de tous les prétendants qui viennent demander ma main… Tout est fini pour moi… Jamais je ne trouverai l’amour.

CAMPANULE

La pauvre fille et comme je la comprends car pour puer qu’est-ce qu’il pue ce pauvre roi !

JOCELYN

(Compatissant à l’égard de Rosemonde et jetant un œil sévère en direction de Campanule.)

Oui, son odeur… Bien sûr, son odeur…

ROSEMONDE

Alors, évidemment, cela le met terriblement en colère et lorsqu’il est en colère…

MYOSOTIS

Et bien il pue encore plus fort !

AZALEE

Ah, ça ! Pour puer qu’est-ce qu’il pue lorsqu’il s’agace ce bon roi !

JOCELYN

(Toujours compatissant à l’égard de Rosemonde et en fusillant du regard les trois fées.)

Oui, oui,… Quand il se met en colère… Bien évidemment…

ROSEMONDE

Oh, mon brave Jocelyn, comment fais-tu pour supporter ça ?

JOCELYN

(Toujours en fixant sévèrement les trois fées qui lui sourient niaisement.)

Je ne sais pas mais ça commence à bien faire.

ROSEMONDE

Pardon ? Que dis-tu ?

 

JOCELYN

(Gêné, tout en fouettant l’air de la main.)

Ces maudites guêpes… Elles commencent à bien faire… Que disiez-vous princesse ?

ROSEMONDE

Je disais comment fais-tu pour supporter l’odeur de mon père lorsqu’il se promène dans les allées de tes jardins ?

JOCELYN

(Soudain avec passion.)

Mais c’est simple, princesse. Avez-vous senti tous les parfums qui envahissent ces lieux ? Mes fleurs m’empêchent d’être incommodé par de mauvais effluves… (Puis se ravisant un peu.) Avec tout le respect que je dois à sa royale majesté…

ROSEMONDE

C’est vrai. Tu as au moins cette chance, toi…

JOCELYN

Oui, j’ai cette chance… (Soudain, avec entrain.) Mais, j’y pense, princesse. Quel idiot je fais ! Pourquoi n’y ai-je pas songé plus tôt ?

ROSEMONDE

Quoi ? Que t’arrive-t-il ?

JOCELYN

La solution est là, sous nos yeux. (Il inspire profondément.) Vous sentez, princesse ?

ROSEMONDE

Eh bien, oui, le parfum de tes fleurs…

JOCELYN

Le parfum de mes fleurs… Elle est là, la solution ! Venez suivez-moi, j’ai peut-être une idée !

CAMPANULE

Aïe, aïe, aïe, dans quoi va-t-il encore s’embarquer celui-là ?

AZALEE

Je ne sais pas mais nous ferions mieux de le suivre.

MYOSOTIS

Oh non, ne me dites pas qu’on va devoir supporter cette odeur abominable. Je vous préviens les filles, si je tombe dans les fleurs ce sera de votre faute…

AZALEE ET CAMPANULE

Tiretirelirela, bouge-toi donc et ferme-la !

LE CONTEUR

Et Jocelyn, s’armant d’un bouquet de roses, se présenta au roi pour lui proposer une visite de ses jardins.

LE CONTEUR

Ce jour-là, tous les sujets purent marcher tout près de leur roi sans être incommodé par sa royale odeur nauséabonde.

STANISLAS

Tes jardins, mon bon Jocelyn, sont un ravissement pour tous. Je te félicite et te ferai la grâce d’une faveur. Celle que tu voudras. Parle, je t’écoute.

JOCELYN

Mon bon roi. J’ai, en effet, une grande faveur à vous demander.

STANISLAS

Et quelle est-elle ?

AZALEE

Aïe, aïe ! Je crains fort que notre jardinier n’ait pris une décision trop hâtive.

MYOSOTIS

Et en même temps, il fallait bien qu’il se décide un jour.

CAMPANULE

(Emotionnée comme une mère.)

Oh, notre petit Jocelyn se décide enfin. Je crois que je vais verser une larme…

JOCELYN

J’ai l’honneur et le courage, ici, de demander la main de la princesse Rosemonde.

Un silence pendant lequel tous se regardent étonnés.

STANISLAS

(Changeant progressivement d’humeur.)

La main de ma fille ? Le jardinier demande la main de la princesse… (Il est pris d’abord d’un fou rire qui vire soudain à la colère.) As-tu donc perdu la raison ? Bougre de jardiner. Ma fille n’épousera jamais un jardinier. As-tu donc perdu la raison ?

Le roi et sa cour disparaissent laissant seul le jardinier désemparé. Un peu à part, Rosemonde fixe Jocelyn d’un regard interloqué avant d’être empoignée et entraînée par son père.

AZALEE

Et ben voilà ! Patatras !

CAMPANULE et MYOSOTIS

Tiretirelirela ! Le voilà tout raplapla !

UN CONTEUR

Le temps passa. Le roi sentait toujours aussi fort. Sa fille restait toujours aussi malheureuse et Jocelyn, le jardinier, continuait de s’occuper de ses fleurs, le cœur brisé.

UN AUTRE CONTEUR

Mais un jour, un étrange prétendant vint visiter le roi Stanislas.

Le baron Nébouché et sa suite apparaissent.

STANISLAS

Qui es-tu ? Et de quelle terre es-tu le seigneur ?

NEBOUCHE

Je suis le baron Nébouché. Je viens demander ta fille en mariage et ton royaume en gage.

LE CONSEILLER BOUCHON

Il est le baron Nébouché et il vient demander ta fille en mariage et ton royaume en gage.

NEBOUCHE

Je crois qu’il avait compris, conseiller Bouchon. Il sent peut être fort mais il n’est pas sourd.

La méchante moquerie fait ricaner la suite du baron Nébouché.

STANISLAS

Que tu viennes demander la main de ma fille est une chose mais mon royaume, tu ne peux l’obtenir.

NEBOUCHE

Et pourtant, il te faudra bien plier à mes exigences car ton pays ne peut plus se satisfaire d’un roi aussi puant.

LE CONSEILLER BOUCHON

Il te faudra bien plier à ses exigences car ton pays ne peut plus supporter un roi qui sent aussi mauvais.

La suite du baron Nébouché ricane encore.

STANISLAS

(Fou de colère.)

Comment oses-tu, maudit bougre ? Tu me provoques et m’insultes ?

Soudain la cour de Stanislas s’effondre prise d’un malaise.

NEBOUCHE

Les faits parlent d’eux-mêmes pauvre Stanislas. Tes sujets s’effondrent devant toi. Et quand un roi inspire un tel malaise à son peuple c’est qu’il n’est pas digne de régner.

LE CONSEILLER BOUCHON

Quand un roi sent si mauvais son peuple est asphyxié.

La suite du roi Nébouché ricane encore.

STANISLAS

Je te ferai payer cet affront. Si c’est la guerre que tu veux, tu l’auras. Foi de Stanislas !

NEBOUCHE

Alors que la guerre nous départage. Nous verrons bien, pauvre petit roi puant ! (Il disparaît avec sa suite.)

UN CONTEUR

On raconte que la colère de Stanislas fut si grande qu’une odeur nauséabonde régna sur la campagne jusqu’à l’issue de cette guerre.

UN CONTEUR

On raconte aussi que l’efficacité de la mauvaise odeur du roi sur le champ de bataille ne fut pas aussi efficace qu’auparavant.

La bataille fait rage entre les deux armées.

STANISLAS

(Surgissant en fureur sur le champ de bataille.)

Sus à l’ennemi, mes soldats ! Décimez-les tous !

L’armée de Stanislas s’effondre prise d’un soudain malaise mais celle de Nebouché reste debout. Stanislas s’enfuit et disparaît.

 

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