LES LARMES D'OASIS 16 Nov. 2023

LES LARMES D’OASIS

de Gianmarco Toto

 

 

PERSONNAGES

 

Amadou : le berger chevrier

Boubacar / ami d’Amadou

Une jeune villageoise

Le lion démon

Princesse Awa

La vieille Doussou

Les petits voleurs

Le marabout (conseiller de la princesse Awa)

Des villageois

Les esprits de la nuit

 

 

ACTE 1

 

Où comment un berger, éleveur de chèvres, devient un faiseur d'oasis.

 

TABLEAU 1

 

Le griot puis Amadou et Boubacar

 

L’action se situe sur le continent africain.

Le pays importe peu. Cela se passe peut-être à une époque ancienne ou à venir dans laquelle chaque peuple de ce continent vivait ou vivra dans une parfaite harmonie.

 

Un griot voyageur apparaît et s’assoit à l’ombre d’un arbre à palabres.

 

 

Le griot

Compagnon tant espéré, ton ombre aura tôt fait de rafraichir mon front. Me permets-tu de profiter de ton feuillage ? Pour te remercier, je vais te révéler l’histoire de ce garçon qui approche. Ainsi tu deviendras l’arbre à palabres sous lequel tout griot nous raconte le vent, le soleil, les rivières de ces terres sacrées.

 

Un jeune chevrier apparaît. Attentif, il scrute les alentours.

 

Le griot

Sais-tu ce que ce jeune garçon observe avec tant d’attention ? Ses chèvres. Ce berger se nomme Amadou. Il possède un trésor. Et ce fameux trésor se trouve sous ses yeux. La réputation de son troupeau et du lait de ses bêtes a conquis tout le pays.

 

Un autre personnage apparaît qui vient rendre visite à Amadou.

 

Le griot

Et lui, c’est Boubacar, le meilleur ami d’Amadou. Sache que l’amitié demeure aussi précieuse qu’un quelconque trésor en ta possession, un héritage bien plus riche que n’importe quelle autre fortune. Celle qui existe entre ces deux-là est une chose rare.

 

 

TABLEAU 2

 

Amadou, Boubacar, la villageoise, la vieille Doussou et le griot

 

Boubacar

Je te salue, ami et frère. Toujours à surveiller tes bêtes ? Tu ne consentiras donc jamais à prendre un peu de repos ?

 

Amadou

Ami et frère, je te salue ! Toujours heureux de te voir. Le repos n’existe pas pour qui veille en bon berger sur son troupeau.

 

Boubacar

Et que deviendrais-tu, mon frère, si le mauvais sort s’abattait sur tes chèvres ?

 

Amadou

J’irai chercher des chevreaux jusqu’au bout du monde. Je donnerai vie à un nouveau troupeau.

 

Boubacar

Infatigable Amadou ! Tenace Amadou ! Je te reconnais bien là et demeure toujours aussi fier de notre amitié.

 

Amadou

Qu’elle brille encore pour les mille ans à venir !

 

Une villageoise apparaît timidement.

 

Boubacar

Tu as de la visite, ami et frère.

 

Amadou

Que veux-tu, brave femme ?

 

La villageoise

Ce que je souhaite, nul autre que toi ne peut me l’offrir. Je viens chercher du lait de tes chèvres. Il a guéri mon vieux père de bien des maladies et lui a redonné la force d’espérer en la vie.

 

Amadou

(En lui tendant une jarre pleine de lait.)

Va, brave villageoise ! Que ton père trouve la force et le repos.

 

La villageoise

(Elle laisse éclater sa joie.)

Oh ! Merci, Amadou, bon berger ! (Son regard s’attriste soudain.) Mais, je n’ai rien à te donner en échange…

 

Amadou

Tu paieras quand le ciel te le permettra.

La villageoise

Non, c’est injuste. Tous les jours, tu te donnes du mal pour tes semblables et tu ne demandes jamais rien en échange.

 

Amadou

Va, te dis-je ! Ton père a besoin de toi !

 

La villageoise

Alors, je viendrai chaque jour nettoyer ta case pour qu’elle reste propre au coucher comme au lever. Ce sera ma façon à moi de te payer. (Elle s’éloigne.)

 

Une vieille femme chargée d’un lourd baluchon sur ses épaules approche à son tour.

 

Boubacar

Amadou, une vieille femme vient par ici. Elle a l’air pauvre et affaiblie.

 

Amadou

Les apparences te jouent des tours, amis et frère. C’est la vieille Doussou, l’ermite qui vit dans la forêt d’à côté.

 

Boubacar

Quoi ? Tu ne la crains pas ? On raconte qu’elle peut lire l’avenir et les mauvais présages, que c’est une sorcière terrible.

 

Amadou

Les méchants ragots se jouent aussi de toi, ami et frère. Cette femme ne fait rien de mal. Vois plutôt ! (Il s’adresse à Doussou.) Je te souhaite le bonjour, vénérable Doussou. Que puis-je pour toi ?

 

Doussou

As-tu préparé ma commande de tantôt, brave berger ?

 

Amadou

Bien sûr, vénérable. Tu trouveras quatre beaux fromages qui t’attendent devant ma hutte. Fais-en bon usage ! (Il remarque l’énorme baluchon que la vieille porte sur ses épaules.) Partirais-tu donc en voyage, respectable Doussou ?

 

Doussou

(Soudain inquiétante.)

Et je t’invite à en faire de même si tu tiens à ton troupeau. La forêt n’est plus ce qu’elle était. Plus rien ne me retient ici.

 

Amadou

Que me contes-tu là ? La forêt a toujours été ton domaine. Tu la connais mieux que quiconque ici.

 

Doussou

Écoute bien, Amadou. Fuis, rassemble tes chèvres et pars ! Le mal s’est installé au creux de ses arbres ! Tu connaitras le malheur si tu restes.

 

Amadou et Boubacar, muets de stupéfaction, observent la vieille Doussou s’éloigner.

 

Boubacar

Qu’est-ce que je te disais ? C’est une sorcière !

 

Amadou

(En souriant à Boubacar.)

Elle a choisi sa destinée. Elle veut partir. Que le voyage lui apporte la paix à laquelle elle aspire. Et toi, ami et frère, viens donc partager le repas avec moi…

 

Les deux garçons poursuivent leur conversation en s’éloignant sans s’occuper du griot resté sous son arbre.

 

Le griot

Le sourire de ce jeune chevrier est beau à voir, il illumine de bonheur et de bonté, n’est-ce pas ? On raconte pourtant qu’une seule larme de berger pourrait faire pousser une oasis en plein désert. Ce garçon encore insouciant va découvrir que la parole des anciens est précieuse. Ils sont plus proches de l’autre monde et en perçoivent autant les bienfaits que les dangers.

 

Le griot se lève et quitte l’ombre de l’arbre à palabres.

 

 

TABLEAU 3

 

Le griot, Amadou, Boubacar, la villageoise et le lion démon

 

Le jour suivant, le griot revient s’installer à l’ombre de l’arbre.

 

Le griot

Que vous disais-je tantôt ? Ah ! Oui ! Écoutez les aïeux… Pensez-vous que le jeune berger qui se trouve prostré au bord de son enclos a bien entendu ce conseil ? Il lui faudra sans doute encore du temps pour comprendre, mais restons attentifs à la suite de cette histoire. La vieille Doussou avait vu juste. Quelque chose de terrible et monstrueux s’est installé au cœur de la forêt. Un lion, à l’apparence moins féline que démoniaque, hante la jungle et dévore tout ce qui passe à sa portée.

 

Sur le bord de son enclos, Amadou reste prostré.

Boubacar, venu lui rendre visite, s’approche.

 

Boubacar

Amadou, ami et frère, que t’arrive-t-il et pourquoi ces larmes qui coulent de tes yeux comme la rivière après la mousson ?

 

Amadou

Boubacar, ami et frère, c’est un homme abattu que tu trouves en ces lieux et rien d’autre. (En se redressant, furieux.) Vois ! Regarde mes chèvres tant aimées !

 

Boubacar

Que me montres-tu là ? La plupart de tes bêtes ont disparu ? Que s’est-il passé ? Quelle est cette malédiction ?

 

Amadou

Ces mots sortent de ta bouche, ami et frère. C’est bien le malheur qui frappe mon troupeau. Les prédictions de la vieille Doussou étaient justes. (Soudain entre peur et étrangeté.) Quelque chose de terrible est arrivé. Un sortilège s’est abattu sur la forêt. Écoute. Là-bas, entre les arbres…

 

Un rugissement terrifiant se fait entendre au loin.

 

Boubacar

(Médusé de terreur.)

Le lion démon…

 

Amadou

La bête immonde et sans pitié, solitaire, assoiffée de sang, affamée de chair et de violence…

 

Soudain, la jeune villageoise venue la veille est de retour.

 

La villageoise

Je te salue, fier berger. Je viens te demander encore de ce bon lait qui soigne mon vieux père de sa maladie.

 

Amadou

(Entre démence et colère.)

Que dis-tu ? Ne vois-tu pas ? Il n’y a plus de troupeau ! Pauvre folle, il n’y a plus de chèvres !

 

La villageoise

(Terrifiée.)

Brave berger, qu’as-tu à hurler ainsi ? Tu me fais peur !

 

Au loin, un nouveau rugissement terrible fait sursauter les jeunes gens.

 

Amadou

(Il bondit en direction de la villageoise.)

Oui, c’est cela ! Il ne reste que la peur ! Alors, fuis, va-t’en ! Cours dire à chacun que le bon berger a perdu son troupeau et que le mal s’est installé sur ces terres !

 

Boubacar

(Se dressant devant Amadou pour protéger la villageoise.)

Ami et frère, arrière et calme-toi ! Cette brave fille est effrayée. Penses-tu qu’un tel comportement apaisera son malheur ? Cela ne fera qu’y ajouter le poids de la terreur.

 

Amadou

(Il abandonne.)

Partez ! Laissez-moi. C’est seul que je combattrais le mal, quitte à passer la nuit à veiller. Je sais qu’il reviendra me prendre les dernières chèvres. Je le sens. Je l’attendrai. Je m’armerai de ma bonne lance et de mon bouclier et je me battrais jusqu’à la mort…

 

Boubacar

Affronter seul ce monstre ? Tu n’y penses pas.

 

Amadou

(Furieux.)

Fais ce que je te dis ! Emmène-la loin d’ici ! Marchez dans les pas de la vieille Doussou, car cette terre est à présent souillée par le malheur et le sang.

 

Amadou s’effondre de désespoir. Boubacar et la villageoise se retirent en adressant au berger un regard apitoyé.

 

 

TABLEAU 4

 

Le griot, Amadou, puis les petits voleurs et Boubacar.

 

Pendant que le griot parle, on aperçoit en arrière-plan, Amadou. Sa lance à bout de bras, il combat sans relâche les assauts d’une bête invisible.

 

Le griot

Une nuit entière, Amadou combattit vaillamment le lion-démon, puis une seconde et une troisième nuit. Plusieurs jours se succédèrent ainsi sans que le brave chevrier trouve le moyen d’en finir avec ce monstre. Étrangement, le félin se contentait d’éviter les coups jusqu’à ce que le berger ploie les jambes de fatigue. Alors, il en profitait pour dérober une nouvelle bête et disparaissait dans la noirceur de la forêt.

 

Au petit matin suivant, des enfants épient discrètement Amadou qui sommeille en tenant sa lance et son bouclier.

 

Un petit voleur

Il ne bouge plus. Il est mort.

 

Un autre petit voleur

Mais non, vois plutôt sa poitrine gonfler. Il respire encore.

 

Un autre petit voleur

On raconte qu’il se bat ainsi toutes les nuits pour chasser le lion-démon.

 

Un petit voleur

Il aurait mieux fait de prendre son troupeau et de s’en aller ailleurs.

 

Un autre petit voleur

C’est injuste ce que tu dis là ! Amadou vit sur cette terre comme son arrière-grand-père et le père de son père !

 

Un petit voleur

À quoi sert un berger sans chèvres ? Le voilà bien avancé. Il aurait mieux fait d’écouter la vieille Doussou. Elle s’en est allée, elle.

 

Un autre petit voleur

Ce n’est pas pareil. Quand on est vieux, on peut choisir son chemin sans déranger quiconque. Les personnes âgées nourrissent les autres avec des paroles sages et non du lait de chèvre.

 

Boubacar surgit et surprend les enfants effarouchés qui s’enfuient comme des animaux.

 

Boubacar

Que faites-vous ici, bande de petits voleurs ? Oui, c’est cela, fuyez et allez donc piller le vaniteux et non le miséreux.

 

Amadou

(Sans relever ni ouvrir les yeux.)

S’ils volent, c’est parce qu’ils ont faim. S’ils ont faim, c’est parce qu’il n’y a plus de lait et s’il n’y a plus de lait, c’est parce que le berger a échoué. 

 

Boubacar

Amadou, mon ami et mon frère, tu dois te ressaisir. Où est le fier berger qui nourrissait toute la contrée ? Où est celui dont la renommée du lait de ses animaux faisait se déplacer les grands de ce monde ? Où se trouve le brave jeune homme qui tantôt m’affirmait se rendre jusqu’au bord du continent pour aller quérir d’autres chevreaux si un malheur frappait encore son troupeau ?

 

Amadou

Cet homme-là n’existe plus ! Il a été emporté par le démon de la forêt avec ses chèvres. Son âme a été dévorée aussi, comme la chair de ses bêtes !

 

Boubacar

Et bien, cet homme-là devra revenir encore une fois. J’ai entendu dire qu’une princesse très vénérée se trouve aux portes de nos terres. Tu devras la recevoir avec les honneurs dus à son rang et lui exposer ton malheur.

 

Amadou

Si ma destinée est aussi de m’humilier devant la première princesse venue, qu’il en soit ainsi.

 

Boubacar

Frère et ami, cesse donc de t’apitoyer sur ton sort et crois-en la force du destin. Je reviendrai plus tard. (Il s’éloigne.)

 

Sous l’arbre aux palabres, le griot soupire et se redresse.

 

Le griot

Vois-tu, bel arbre, ce jeune homme a le cœur si froid, sa douleur le rend si aveugle qu’il ne peut observer les prodiges dont sont capables les larmes qui coulent sur le sol tout autour de lui. On raconte toujours, aussi loin que je me souvienne, qu’une seule larme de berger peut faire naître une oasis en plein désert.

 

Un tapis de fleurs se forme autour d’Amadou toujours prostré et pleurant toutes les larmes de son corps.

 

 

TABLEAU 5

 

Le griot, Amadou, le marabout et la princesse Awa

 

Le griot

Au petit matin, une suite princière se présente à la ferme d’Amadou. Lui, prostré au cœur d’une véritable oasis nait de ses propres larmes, ne voit même pas le personnage qui s’approche de lui avec la discrétion du serpent.

 

Le marabout se dirige vers Amadou à pas hésitant puis aperçoit le griot.

 

Le marabout

Dis-moi, bon griot, je suis le marabout qui représente la princesse Awa. Je viens chercher celui qu’on nomme Amadou, le chevrier. Est-ce ce garçon que j’aperçois là-bas pleurant toutes les larmes de son corps ?

 

Le griot

Il fut celui que tu dis et n’est plus celui que tu es venu chercher, ô vénérable marabout.

 

Le marabout

Mais ce jeune homme semble déjà à l’article de la mort. On m’avait pourtant raconté qu’il était vaillant et vigoureux, que son troupeau faisait sa fierté, que son lait était un nectar des dieux aux propriétés étonnantes, mais là…

 

Le griot

Là, en cette oasis nait de son désespoir et de sa tristesse, se tient, en vérité, Amadou le berger.

 

Des trompettes et des tambours annoncent l’apparition de la princesse Awa et sa suite. 

 

Princesse Awa

Fidèle marabout, quelle est cette oasis qui entoure cet homme alors que rien sur cette terre ne pousse plus haut que ma cheville ?

 

Le marabout

Majesté, le griot que tu vois sous cet arbre à palabres me dit que c’est bien Amadou, le jeune berger que tu es venu chercher. Et le jardin magnifique qui l’entoure est né de ses propres larmes.

 

Princesse Awa

Mais pourquoi pleure-t-il aussi abondamment ?

 

Amadou

(Toujours prostré.)

Approche Princesse ! Je te raconterai la malédiction qui me frappe ainsi que le chagrin qui me submerge. Cependant, ne me demande ni lait ni fromage, car je serai bien incapable de t’en fournir.

 

Princesse Awa

Mais le prodige dont est capable cette tristesse est bien plus incroyable que du lait et du fromage. Viens avec moi, Amadou. Oublie ton malheur. Allons faire pousser des jardins sur les terres de mon royaume et je te couvrirai d’or.

 

Amadou

Si telle est ta volonté, alors je te suivrai.

 

Le griot

Ainsi, Amadou laissa ses terres, son enclos et ses amis derrière lui pour suivre la princesse Awa. Quant à moi, bel arbre à palabres, je vais marcher dans les pas de cette troupe et prendrai place à l’ombre d’un de tes semblables. De cette façon, tu découvriras l’incroyable destin du berger devenu faiseur d’oasis.

 

 

ACTE 2

 

Où comment la vérité et la générosité peuvent révéler tous les sortilèges de ce monde et faire naître l'amour.

 

 

Tableau 1

 

Le griot, le marabout, Amadou, la princesse Awa et des villageois.

 

Le griot apparaît. Il cherche un court instant autour de lui puis repère un nouvel arbre à palabres où il pourra s’installer.

 

Le griot

Ah ! Te voilà, bel arbre, mon ami. Je craignais d’avoir parcouru tant de lieues sans trouver un seul refuge au bout du chemin. Mais tu es là et je vais pouvoir m’installer, si tu le permets, à tes pieds ombragés. Ainsi pourrai-je poursuivre l’histoire du berger devenu jardinier d’oasis… Tu n’es pas au courant ? La princesse Awa a ramené avec elle le brave Amadou qui fut chevrier. D’ailleurs, le voici qui approche… Il a l’air bien entouré en effet. Sa réputation l’a sans doute déjà précédé…

 

Amadou et la princesse Awa apparaissent entourés de villageois suppliants. Un peu à l’écart, le marabout veille.

 

Le marabout

Allons, peuple d’Awa, écarte-toi donc un peu et laisse la princesse et son invité avancer tranquilles.

 

La princesse Awa

Laisse-les venir jusqu’à nous, Marabout. Je veux leur faire profiter des bienfaits des larmes d’Amadou.

 

Un villageois

Estimée princesse, notre terre se meurt. De partout, on vient annoncer que le sol se fend et que la poussière envahit tout.

 

Un autre villageois

L’eau se retire des rivières et les puits sont asséchés. Même le bruit de la mer semble s’éloigner de nous.

 

Un villageois

Qu’allons-nous devenir ? J’ai sept enfants à nourrir et mes vieux parents ont besoin de soins.

 

Une villageoise

(Elle apparait secouée par les sanglots et tenant son bébé dans les bras. Elle tend le couffin sous les yeux de la princesse Awa et d’Amadou.)

Vois, vénérée princesse, mon petit se meurt lentement. Je ne peux le nourrir de mon propre lait, car je n’arrive pas à me nourrir moi-même.

 

Amadou prend le bébé dans ses bras et, tout en le berçant, pleure toutes les larmes de son corps.

Soudain, tout autour du berger, des fleurs se mettent à pousser, l’eau jaillit du sol et des plantes apparaissent.

 

Un villageois

Qu’est-ce que c’est ? Un sortilège ? Nous voilà donc maudits à présent ?

 

La princesse Awa

Rassurez-vous, braves villageois et chantez tous pour remercier les esprits de nous venir en aide. Je vous présente Amadou qui fut berger et que le sort a voulu placer sur mon chemin. Ses larmes sont comme les vôtres, mais elles nourrissent cette terre de bonté et de sagesse.

 

Le peuple d’Awa entoure Amadou et chante. À l’écart, le marabout semble ruminer quelques secrètes paroles.

 

Le marabout

Profite encore, tant que tu le peux, brave berger. Je lis bien dans ton jeu. Tu prendras ma place en tant que premier conseiller de la princesse. Or, je te le dis, tu sauras un jour la vérité et les larmes qui couleront de tes yeux seront celle de la colère et de l’amertume.

 

Le griot

Tu sembles contrarié, fidèle marabout ! J’entends tes murmures jusque sous mon arbre !

 

Le marabout

(Contrarié.)

Je réfléchis tout haut pour mieux clarifier ma pensée.

 

Le griot

Ah, tu fais bien alors. On dit que celui qui songe à haute voix veut laisser à l’extérieur de lui les mauvaises pensées qui souillent son esprit.

 

Le marabout

(Menaçant en se penchant sur le griot.)

Un conseil, petit griot : avise-toi de ne pas salir les tiennes par des soupçons insultants. Contente-toi de divertir les naïfs par tes fables puériles et mêle-toi de ce qui te regarde.

 

Le marabout s’éloigne avec la Princesse Awa, Amadou et le reste des villageois.

 

Le griot

Je crois que je l’ai piqué au vif. Ce marabout risque de se montrer trop zélé à l’avenir. Allons, bel arbre à palabres, je vais te laisser avec les oiseaux nocturnes. Le soir approche et avec la nuit, les mystères se révèleront peu à peu.

 

Le griot se lève et s’éloigne à son tour.

 

 

Tableau 2

 

Amadou et la princesse Awa

 

Le soir, dans le palais princier.

 

La princesse Awa

Amadou, tu sembles préoccupé. Ton cœur n’est-il pas plus apaisé d’avoir sauvé tous mes braves sujets de la famine et la misère ? Tes larmes ont fait plus de miracles et semé plus d’oasis, que n’importe qu’ici-bas.

 

Amadou

Mon cœur voudrait cesser de pleurer, princesse. Je suis fatigué de voir tant de tristesse et de malheur autour de moi. Cela me rappelle mon troupeau et le sort de mes chèvres bien aimées.

 

La princesse Awa

 Mais tu apportes à ces gens l’espoir et la vie. Ne trouves-tu pas en ce geste un sujet de consolation ? On dit qu’il faut toujours un mal pour un bien.

 

Amadou

Il n’y a rien de bien dans mon cœur, princesse. Il n’y a que souffrance et regret. Je ne dis pas que je trouve quelques satisfactions à la vue de toutes ces personnes heureuses de mes oasis. L’espoir renait en elles quand, lentement et en silence, la mélancolie saigne en moi comme une blessure qui ne veut pas cicatriser.

 

La princesse Awa, soudain pensive et soucieuse, s’éloigne un peu.

 

La princesse Awa

(Puis vivement.)

Et si nous nous mettions en quête de trouver un nouveau troupeau de chèvres, cela pourrait-il rendre l’allégresse à ton cœur ?

 

Amadou

Certes oui, majesté. Mais que deviendraient tous tes sujets dans le besoin ? Et si mes larmes cessent de couler, plus aucune oasis ne poussera sur ces terres comme tu peux t’en douter.

 

La princesse Awa

Pour l’instant, repose-toi, car demain est un autre jour. Laissons la lune à la nuit et le soleil à l’aurore. Tu auras encore beaucoup de villages à visiter et d’oasis à faire pousser.

 

La princesse quitte les lieux.

Amadou, épuisé, s’allonge sur sa couche.

 

 

Tableau 3

 

La princesse Awa, le marabout et les esprits de la nuit

 

La princesse Awa est seule devant sa commode.

Soudain, le marabout apparaît.

 

Le marabout

Vénérée princesse, veuillez me pardonner cette visite importune à une heure aussi tardive, mais une affaire urgente m’amène en ces lieux.

 

Princesse Awa

Quelle affaire peut revêtir une si grande importance pour troubler ton sommeil, marabout ?

 

Le marabout

Troubler est un verbe juste pour traduire mon ressentiment, vénérée princesse.

 

Princesse Awa

Et bien, parle au lieu de tourner comme le léopard assoiffé autour de l’étang.

 

Le marabout

Princesse, j’ai des doutes sur les intentions de ce garçon, Amadou. Sa tristesse, ses larmes, ses oasis qui poussent au gré de ses pleurs incessants, tout cela, si vous me le permettez, ressemble à quelque sortilège malveillant.

 

Princesse Awa

Qu’entends-je ? Est-ce toi, marabout, qui me parle de sortilège malveillant ? Tu n’es pas en reste si je ne m’abuse. Et cette idée de venir visiter ce berger en détresse était ton idée, n’est-ce pas ?

 

Le marabout

Certes, oui, bonne princesse, mais vous savez la prévenance que je tente chaque jour d’exercer auprès de votre majesté et que…

 

Princesse Awa

(Avec fermeté.)

Il suffit. Je trouve cette complaisance trop invasive à mon goût. Retourne donc à tes appartements et cesse de croire, comme à ton habitude, que le mal est partout. Amadou est aimable et plein de générosité à l’égard des siens. Ne l’a-t-il pas assez prouvé ?

 

Le marabout

(En reculant avec révérence.)

Vos désirs sont des ordres, majesté. (Puis en aparté, le ton devient plus amer.) Je saurai te convaincre, maudite princesse, et nous débarrasser de ton petit pleurnicheur de berger.

 

Entre-temps, la princesse Awa s’est allongée pour trouver le sommeil qui ne tarde pas à la saisir.

Soudain, des ombres apparaissent et des voix se font entendre dans la chambre princière.

 

Le chœur des esprits

Awa, bonne princesse, entend la voix de tes ancêtres… Awa… Awa… Awa… Fille de la terre… Ouvre ton âme à notre parole…

 

Princesse Awa

(Parlant dans son sommeil.)

Qui me parle ? Qui vient troubler ma nuit ?

 

Le chœur des esprits

C’est nous, belle enfant, les esprits de la terre, du ciel, de l’eau et du feu… Awa… Awa… Awa… Amadou, le berger que tu protèges et que tu chéris est en grand danger… Ala, déesse de la fertilité, est venue jusqu’à nous. Elle a dit : nul besoin que des larmes de mortels tombent sur cette terre pour que la fleur et le millet poussent en abondance. Nulle nécessité de douleur ou de mélancolie. L’amour et la fraternité entre tous les peuples seront des engrais plus que suffisants afin que ce sol soit béni… Awa… Awa… Awa…

 

Princesse Awa

(Elle s’agite encore quelques instants dans son sommeil.)

Nul ne peut… Nul besoin… Larmes, douleur, souffrance… (Elle se réveille en sursaut.) Par tous les esprits, ce rêve… C’est décidé, je dois lever la malédiction… Amadou doit savoir toute la vérité…

 

 

Tableau 4

 

Le griot, Boubacar et Amadou

 

La nuit devant la case d’Amadou une silhouette avance discrètement.

Plus loin, une autre présence l’épie.

 

Le griot

La nuit possède son lot de créatures qui errent et rôdent au hasard des ombres. Celle-ci, inconnue, secrète, semble savoir où ses pas l’amènent. Mais toi, lune ronde qui brille à la voûte étoilée, tu devines déjà qui se cache sous cette vieille peau de bête. (Il s’approche de la silhouette et la surprend.) Je te salue étranger. Que viens-tu faire à cette heure et en ces lieux ?

 

La silhouette

Je pourrai très bien te poser la même question. Laisse-moi et passe ton chemin.

 

Le griot

Oui, mais moi, je ne dissimule pas mon visage à la lune. Je suis griot et n’ai nul besoin de me cacher pour donner la sage parole.

 

La silhouette

Ah, c’est toi, griot ? L’obscurité m’empêchait de distinguer tes traits…

 

Le griot

(Cabotin.)

Tu me connais donc et gardes cependant l’anonymat. Fuis-tu tes derniers larcins ou viens-tu enlever une belle afin de l’épouser ? Pire encore : tu réclames vengeance et la peau de toutes les pauvres âmes de ce village… (Il fait mine de s’accrocher à la vieille peau de bête de l’inconnu.)

 

La silhouette

(Très agacé.)

Ah ! Écarte-toi, maudit griot ! Va donc raconter tes fables à qui voudra les entendre et laisse-moi en paix !

 

Amadou

(Surgissant d’une issue du palais, la figure encore endormie.)

Qui est là ? Qui trouble mon sommeil à une heure pareille ?

 

La silhouette

(En dévoilant son visage.)

 Ah ! Les esprits de la nuit soient loués ! Te voilà enfin, Amadou, je t’ai retrouvé. C’est moi, Boubacar, ton ami et ton frère !

 

Le griot

Ce n’est donc que toi ? Je retourne sous mon arbre. C’est sans surprise. L’amitié méprise la distance et le prouve une fois de plus.

 

Amadou

(Prenant Boubacar dans ses bras.)

Mon ami et frère, je te retrouve enfin. Mais que viens-tu faire si loin de chez nous ? Et comme tu sembles maigre et fatigué…

 

Boubacar

(Pleurant.)

Mon ami, tous nos frères sont ainsi chétifs et épuisés. Depuis la disparition de ton troupeau et ton départ, ta terre souffre et pleure. Le lait de tes chèvres manque tant, que nos familles, nos enfants, nos voisins meurent tous de faim.

 

Amadou

Que me dis-tu là ? Et moi, misérable que je suis, je me présente à toi, couvert de soieries et de bijoux, plus riche qu’avant, mais pas plus satisfait. Je pleure des oasis sur le monde alors que sur ma terre mes frères souffrent. J’ai soudain si honte…

 

Boubacar

Alors, c’est une bonne chose. Tu dois dire à la princesse ce qui se passe.

 

Amadou

Tu as raison, mon ami et frère. Viens avec moi, nous lui parlerons ensemble.

 

Les deux amis quittent les lieux.

 

Le griot

Et voici le destin en marche et la vérité qui éclatera sous la lumière de l’astre lunaire. Que le sort soit jeté ! Qu’il en soit ainsi ! Et que l’Afrique s’éveille enfin sous un nouveau jour !

 

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