LE MYSTÈRE D'OVERTOUN BRIDGE 10 Août 2025

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Bethany n’avait pas hésité une seconde en recevant l’appel du poste de police. Le temps d’enfiler un manteau à la hâte, de parcourir les quelques kilomètres qui la séparaient du laboratoire médico-légal, et la voilà assise, le cœur battant, dans la salle d’attente du médecin légiste.

La porte s’ouvrit soudain, laissant apparaître un homme en blouse blanche aux traits tirés. Il s’avança vers elle.

— Mademoiselle Klanagh, je présume ? Bonjour. Veuillez me suivre, je vous en prie. Je crois que ma secrétaire vous a informée concernant votre animal…

— Où est-il ? coupa Bethany, la voix fébrile.

— Patience. Vous pourrez le voir, mais il faut éviter de brusquer les choses. Nous testons encore ses réflexes. Nous ignorons encore comment son état va évoluer.

Bethany emboîta le pas au médecin, traversant les longs couloirs blafards du laboratoire de la police de Dumbarton. Ils franchirent les portes battantes de la salle d’autopsie. Là, sur la table d’auscultation, gisait Billy Boy, les yeux grands ouverts.

À son entrée, le chien s’agita et poussa de faibles jappements.

— Billy… Billy, je suis là, mon grand… soufflait Bethany en se précipitant vers lui, tentant de calmer les tremblements de son fidèle compagnon qui agitait les pattes.

— Nous allions commencer l’autopsie lorsqu’on a remarqué que son cœur battait encore, expliqua le légiste d’une voix neutre.

Bethany n’écoutait déjà plus. Elle se laissait lécher les mains et le visage, ravalant ses larmes. Le médecin resta planté là, un peu déconcerté par la scène.

C’est à cet instant qu’une voix autoritaire brisa le calme tendu de la pièce.

— Écartez-vous de cet animal !

Mac Corway venait d’entrer, l’air grave.

— Allez, viens, Billy… viens mon pépère, murmura Bethany en l’encourageant à se lever.

— Mademoiselle, s’il vous plaît, l’enquête est toujours en cours. Ce chien doit rester ici.

Bethany se redressa, lançant un regard glacial au commissaire.

— Quelle enquête, commissaire ? Je croyais que Billy Boy n’était qu’un chien. N’est-ce pas ce que vous m’avez dit ?

— Mademoiselle… nous attendons un vétérinaire comportementaliste. Il devrait arriver d’un instant à l’autre…

— Écoutez-moi bien. Billy Boy est vivant. Il rentre à la maison. Spécialiste ou pas spécialiste.

Avant que la tension ne monte davantage, une voix grave et étrangement apaisante coupa court à l’affrontement.

— Je vous conseille de réfléchir à deux fois avant de prendre cette décision, mademoiselle.

Dans l’embrasure de la porte se tenait un homme d’une soixantaine d’années, longs cheveux blancs tirés en arrière, tempes grisonnantes. Sa barbe taillée avec soin encadrait un visage marqué et des yeux pétillants de malice et d’intelligence.

— Billy Boy a traversé une expérience particulière et traumatisante. Vous ne voudriez pas savoir s’il est en pleine santé avant de le ramener chez vous, n’est-ce pas ?

Bethany, troublée, acquiesça en silence.

— Qui êtes-vous ? murmura-t-elle.

— Hector Lambert. Vétérinaire. Je vous propose de m’accorder quelques instants. Si tout va bien, vous pourrez repartir avec lui.

Comme s’il avait compris, Billy Boy dressa une patte vers l’homme, remuant faiblement la queue.

— Oui, mon vieux, fit Lambert en tendant la main que le chien s’empressa de lécher. Oui, je sais. Tu as vécu une sacrée mésaventure. Mais Hector est là, ça va aller.

Le vétérinaire prit son temps. Une heure durant, il ausculta le Labrador avec une précision de chirurgien et une douceur de père de famille. Malgré ses allures de professeur un peu fantasque, Lambert n’avait rien d’un original. Sa réputation dépassait les frontières. Il avait résolu à lui seul plusieurs affaires troublantes impliquant des comportements inexplicables d’animaux, domestiques ou sauvages. La presse l’avait surnommé « le psy des bêtes », un titre qu’il méprisait, considérant que les journalistes abrutissaient le public avec des approximations.

À ses yeux, les animaux possédaient un langage secret, un code que l’homme, avec son esprit borné et cartésien, était incapable de déchiffrer.

Une fois son examen terminé, il caressa le flanc de Billy Boy et se tourna vers le trio silencieux qui patientait dans un coin de la pièce.

— Vous pouvez reprendre votre compagnon, mademoiselle. Je doute qu’on en tire davantage aujourd’hui.

Mac Corway s’interposa, grincheux.

— Minute papillon ! Je vous rappelle que c’est moi qui dirige cette enquête et tant que je n’ai pas donné mon feu vert, ce chien reste ici.

Lambert planta son regard malicieux dans celui du commissaire.

— Qu’est-ce que vous ne nous dites pas, commissaire ? Ça a recommencé, n’est-ce pas ? Un autre animal s’est jeté de ce satané pont. Sans explication.

Le policier blêmit.

— Comment vous savez ça ? Qui vous l’a dit ?

— Personne. Mais si vous refusez obstinément qu’un chien vivant rentre chez lui, c’est qu’il y a anguille sous roche. Et je parie que ce n’est pas la première fois.

Bethany esquissa un sourire en coin en voyant la mine défaite de Mac Corway.

— D’accord, soupira ce dernier. J’attendais votre arrivée pour en parler. Ce matin, un autre chien s’est jeté d’Overtoun Bridge. Juste devant moi. Un Colley, je crois. Son maître a eu la brillante idée de lui retirer sa laisse… Et le chien s’est précipité dans le vide.

Lambert hocha lentement la tête et se tourna vers Bethany.

— Mademoiselle, que diriez-vous d’une petite promenade en compagnie de Billy Boy… sur les lieux ?

Bethany pâlit. L’idée de retourner sur ce pont maudit l’étreignait d’angoisse, mais les jappements joyeux de Billy Boy à l’adresse du vétérinaire apaisèrent ses craintes.

— Votre chien est plus rapide que vous. Il a envie d’y retourner. Et cette fois, en laisse. Il a des choses à nous dire, n’est-ce pas mon grand ?

Billy Boy répondit par un jappement sonore.

 

Quelques instants plus tard, la voiture de Mac Corway ralentit, s’arrêtant près des véhicules de police déjà postés aux abords du pont d’Overtoun. Des barrières de sécurité balisaient les accès.

Lambert, suivi du commissaire et de son adjoint, descendit promptement et alla parler à un vieil homme en pleurs, entouré d’inspecteurs.

Bethany, restée en retrait, agrippait la laisse de Billy Boy, le cœur au bord des lèvres. Son chien tirait sans relâche en direction de Lambert.

Après quelques mots échangés avec le maître éploré, Lambert s’approcha du parapet, jeta un œil en contrebas, puis fit signe à Bethany.

— Venez, mademoiselle. Vous et Billy Boy ne risquez rien. C’est important.

Il fallut à Bethany un effort considérable pour franchir les quelques mètres qui la séparaient du vétérinaire. Elle s’avança lentement, Billy Boy tirant toujours sur sa laisse.

En bas, le corps du Colley gisait parmi les pierres de la rivière à moitié asséchée.

Et soudain, Lambert lui arracha la laisse des mains.

— Mais… rendez-moi mon chien ! s’écria Bethany, paniquée.

— Calmez-vous, répliqua-t-il, autoritaire mais sans agressivité. Il ne risque rien. Je veux juste vérifier quelque chose.

Mac Corway la retint doucement par le bras pour la rassurer.

Lambert mena Billy Boy jusqu’au point exact où les animaux s’étaient jetés. Le chien renifla les pierres, s’avança… puis bondit.

Bethany hurla. Mais Billy Boy ne sauta pas. Il grimpa simplement sur la murette, s’y enroula, fixa longuement la rivière et poussa de petits gémissements.

Lambert s’approcha.

— C’est bien, mon beau. J’ai compris. Tu ne sautes plus parce que tu sais quelque chose. Et tu vas finir par nous le dire, hein ?

Billy Boy lui répondit d’un jappement clair, remuant la queue, avant de bondir au sol et de courir droit dans les bras de Bethany.

Lambert sourit.

— Ce chien a vu l’invisible. Et il est temps qu’on sache ce que c’est.

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